Quand le refus devient fécond
Le 28 novembre 2024 en librairie, avec Kamel Daoud, Jérôme Garcin, Emmanuelle Lambert, Marylin Maeso, Daniel Pennac, Erri de Luca, Barbara Cassin...
Au festival Paris en toutes lettres :
- Le 21 novembre à 19h à la maison de la poésie, avec Xabi Molia, Benjamin Hoffmann, Véronique Ovaldé et Valérie Zenatti.
Par Olivia Gesbert
ÉDITORIAL
Lisez le monde avec ceux qui l'écrivent !
Olivia Gesbert
Ce que l’intelligence artificielle fait à la langue. Une malédiction ou une chance ? Après l’éditeur Antoine Gallimard, dans ce numéro d’automne de La Nouvelle Revue française, c’est au tour de la philosophe Barbara Cassin d’envisager les mutations technologiques en cours et leurs usages possibles dans le monde de l’édition et de la traduction.
Comment une IA traduirait-elle Rêvoir, Incendire ou encore Mdeilmm, pour ne citer que les titres des trois derniers ouvrages d’Hélène Cixous ? Pour l’écrivaine, la littérature est un pays. Si la réalité s’impose à nous, elle a choisi d’habiter ce monde à travers les livres. À l’occasion de la parution de son recueil Et la mère pond vite un dernier œuf, la dame aux yeux de chat donne tout naturellement voix à ce nouveau numéro. Celle qui a invité les femmes à s’écrire dans Le Rire de la Méduse, essai-manifeste de 1975 réédité cette année, revient sur la femme après MeToo, sur l’incertitude au cœur de toute chose, la cohabitation du pire comme du meilleur, la répétition des catastrophes et le merveilleux des mondes imaginaires. Hélène Cixous évoquera aussi le dialogue entre littérature et peinture, ces « semblables poétiques » qui, vous le verrez dans la partie Ouvertures de cette nouvelle NRF, continuent d’inspirer les écrivains.
Parce que les musées aussi font leur rentrée, avec quelques grandes expositions dédiées en France à Frida Kahlo, Ribera, Caillebotte, Jackson Pollock, ou encore à James Ensor en Belgique, et consacrées au Surréalisme, à l’Arte povera, à « L’intime de la chambre aux réseaux sociaux », à l’exil ou aux paquebots, aux « Figures du fou » ou à celles des clowns, pitres et saltimbanques, les photographies sans dates, sans légende ni cartel de Nicolas Krief écrivent une autre histoire de l’art, au présent des regards.
L’Art, d’ailleurs, peut-il se passer de mots? « On croit penser à tout mais on oublie ce que la peinture doit aussi à la littérature », rappelle Grégoire Bouillier dans Le Syndrome de l’Orangerie (Flammarion, 2024). Et réciproquement, lui rétorque dans La NRF Franck Maubert pour qui ces deux arts n’ont cessé de correspondre et de s’influencer. Don/contredon, pour ce numéro d’automne de La NRF, Cioran évoque son vertige en miroir avec celui de Nicolas de Staël, Erri De Luca prête sa voix aux marbres du Parthénon conservés au British Museum de Londres, Laura Vazquez enjambe la folie de Jérôme Bosch, Blandine Rinkel reconsidère le Pierrot d’Antoine Watteau, Stéphane Massonet relit les œuvres du Belge James Ensor, tandis que Nina Leger substitue ses mots au tableau subtilisé. Que voit-on sur la toile ? Bien souvent ce que le titre de l’œuvre nous donne à voir. D’un simple regard, la romancière Emma Becker nous livre un tout autre récit de L’Origine du monde, intime et féminin. Enfin, l’écrivain François Durif revient en terrain trouvé avec Henri Michaux.
Michaux, le peintre-poète, a passé sa vie à refuser les honneurs, les titres de reconnaissance, et semblait prendre un malin plaisir à le réaffirmer, à s’en expliquer, comme en témoignent les lettres réunies par Jean-Luc Outers dans Donc c’est non (Gallimard), un recueil paru il y a huit ans.
Lisez ces lettres, c’est un régal de style et d’intégrité qui nous parle d’un temps où « écrivain » était un autre métier. Poliment mais fermement, Michaux disait non à tous les à-côtés de l’écriture, non à la promotion de son œuvre, non aux prix, à la Pléiade, à cette « manie des photos » qui l’exaspérait, et même non à La NRF…
« J’entends dire que la NRF prépare une sorte de N° sur moi. Est-ce un faux bruit ? Faites qu’il ne soit rien de plus, écrit-il au critique Marcel Arland, au début de l’été 1976. Qu’on publie un jour un article, soit. Mais que la NRF opère un rassemblement de masse sur le sujet en question, non. Attendez la fin de ma vie qui ne saurait tarder. Lorsqu’est arrivé le moment où sur le corps se désorganisant tout tour à tour devient danger grave, la chaleur de l’été, le froid de l’hiver, le manger, le mouvement, la mer, la montagne, les émotions, la lumière et les médicaments même, alors la fatale disparition est proche. Du moins, que je ne finisse pas gavé de mon propre nom » (Donc c’est non, Gallimard, 2016).
Alors même que nous célébrons cette année les quarante ans de la disparition du poète, pas de numéro hommage à l’auteur de Qui je fus, juste l’envie de lui emprunter son mot-couperet (« Je cherche une secrétaire qui sache pour moi de quarante à cinquante façons écrire non ») et de penser avec Michaux la littérature comme un art du refus.
Donc c’est non ! Dans le Dossier de La NRF, après Albert Camus, Georges Bernanos, Henri Nanot ou encore Colette, des écrivains d’aujourd’hui gravent leur non dans l’époque. De l’engagement au consentement, avec Marylin Maeso, Kamel Daoud, Emmanuelle Lambert, Jennifer Tamas, Sébastien Lapaque, Jérôme Garcin, Adeline Baldacchino ou encore Aleš Šteger, retrouvons ensemble les chemins d’une littérature qui dit Non!. Et une fois, une seule, « le merveilleux mystère d’une parole qui dit en même temps presque oui et presque non » (Philippe Jaworski, Melville. Le désert et l’empire, Presses de l’ENS, 1986), celle de Bartleby qui dit « Je préférerais ne pas », I would prefer not to, érigeant pour certains le scribe en symbole de la désobéissance civile, de la résistance, du libre arbitre voire en figure de l’écrivain moderne. Daniel Pennac nous livre ici son
interprétation de la célèbre formule du Bartleby de Melville. Un livre boussole
dans le sens où il nous guide et dans le sens que l’Espagnol Enrique Vila-Matas donne au classique : « La littérature, quelque passion que nous mettions à la nier, permet de sauver de l’oubli tout ce sur quoi le regard contemporain, de plus en plus immoral, prétend glisser dans l’indifférence
absolue. » (Bartleby et compagnie, traduit par
Éric Beaumatin, Babel, 2022).
La Nouvelle Revue Française N° 659
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