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Bibliothèques : un idéal menacé ?

Le 27 novembre en librairie

Avec Dominique Perrault, Alberto Manguel, Julien Brocard, William Marx, Robert Darnton, Alice Kaplan, Isabelle Jarry, Vanessa de Senarclens...

n°663
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François Schuiten

Agenda

Le Book Club de la NRF le vendredi 28 novembre à la Maison de la Poésie à Paris.

> Avec Clément Bénech, Grégory Le Floch, Blandine Rinkel et Mohamed Mbougar Sarr

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Par Olivia Gesbert

ÉDITORIAL 

Lisez le monde avec ceux qui l'écrivent !

Olivia Gesbert


Outre-Atlantique, un collectif d’auteurs en lutte contre les Book Bans, ces livres bannis des bibliothèques américaines, s’est doté d’un double hashtag : #liberté d’écrire #liberté de lire. Si le premier renvoie directement à la liberté d’expression, le second illustre bien la nouvelle bataille du livre qui se joue actuellement aux États-Unis. Une vieille bataille, comme l’illustre le destin sinueux des Aventures d’Huckleberry Finn. Interdit depuis plus d’un siècle tour à tour par des forces réactionnaires et progressistes, le roman de Mark Twain vient tout juste d’être remis en lumière par l’adaptation qu’en a faite l’écrivain Percival Everett, une métamorphose racontée dans ce dossier par l’historienne Alice Kaplan. Et que dire de 1984 de George Orwell ! On y revient avec l’écrivaine Isabelle Jarry. Symbole à l’Ouest de résistance au
totalitarisme soviétique pendant la guerre froide, le prophétique roman de l’écrivain anglais figure aujourd’hui sur la liste des ouvrages interdits dans plusieurs États américains. Certes pas nouvelle, cette guerre culturelle ou le livre est à la fois une cible et un symbole a redoublé d’intensité depuis l’avènement du trumpisme, comme en témoigne l’ancien directeur de la Bibliothèque d’Harvard, Robert Darnton, auteur d’une mémorable Apologie du livre. En rendant certains titres indisponibles dans les bibliothèques publiques, en programmant leur disparition des étagères ou en demandant qu’ils soient
désindexés des collections numérisées, leurs opposants restreignent l’accès aux livres, et entravent l’exercice de la liberté de lire. Se faisant, ils empêchent une autre liberté, sous-jacente, de s’exercer : la liberté de ne pas lire. Premier des droits imprescriptibles du lecteur, selon Daniel Pennac. Pour pouvoir l’exercer, encore faut-il que d’autres ne se le soient pas arrogé à notre insu. Si un titre ou un auteur nous heurte, plutôt que de l’interdire, il est possible de faire le choix, tout aussi politique, de ne pas l’ouvrir. Une alternative mise en avant par Laure Murat dans un bref essai paru cette année, Toutes les époques sont dégueulasses, où elle préconise la sensibilisation et la contextualisation des œuvres jugées problématiques, plutôt que leur réécriture ou leur censure.

« Seuls les lâches confisquent les livres ». Le traducteur et écrivain Alberto Manguel a fait sien ce slogan d’une manifestante israélienne. Auteur de La Bibliothèque, la nuit, où il faisait déjà l’éloge de cette éternelle compagne de tout lecteur, à la manière de Georges Perec dans Penser/Classer, l’ancien directeur de la Bibliothèque nationale d’Argentine, qui a récemment fait don de tous ses livres à la ville de Lisbonne, continue à défendre inlassablement l’émancipation par la lecture et le rôle essentiel des bibliothèques dans cet éveil à des réalités nouvelles ou inconnues. Mais il nous alerte également sur la double menace qui pèse sur elles : numérique (algorithmes, obsolescence…) et politique (exclusion d’ouvrages, coupes budgétaires…).

Les bibliothèques, un idéal en danger ? Si elles sont aujourd’hui encore perçues comme des sanctuaires inattaquables, des forteresses de la connaissance et de la mémoire, il faut souvent qu’une bibliothèque brule, à Tombouctou ou Bagdad, de Sarajevo au Cap, pour que leurs valeurs matérielles et leur beauté immatérielle se rappellent à nous. Elles sont en réalité depuis la nuit des temps des lieux de manifestation du savoir et de démonstration du pouvoir, comme nous le rappelle le professeur au Collège de France William Marx avec Ovide, poète banni de son pays qui fit tout pour que ses livres ne connaissent pas le sort qui fut le sien : l’exil. Comme nous le rappelle également la Grande Bibliothèque de Paris. Construite pour durer, il y a tout juste trente ans, elle répondait aux rêves de grandeur de François Mitterrand et aux fictions de son architecte. Dans un long entretien, Dominique Perrault revient sur les conditions de sa création. Savoir, pouvoir et mémoire, car il faut dire que les bibliothèques sont aussi des lieux aux prises avec la perte, comme l’illustre dans notre grand dossier l’écrivaine suisse Vanessa de Senarclens, autrice de La Bibliothèque retrouvée. Ou encore avec l’absence, nous rappelle l’éditeur Julien Brocard, celle notamment des livres qui auraient pu ou dû être écrits et qui ne l’ont jamais été, heurtant le rêve borgésien d’une bibliothèque totale.

« Si Dieu existait, il serait une bibliothèque » ! Prophète en son pays, l’Italien Umberto Eco a aussi analysé les forces et faiblesses de l’institution dans une conférence prononcée à Milan en 1981 et publiée sous le titre De Bibliotheca. D’autres poursuivent la réflexion, comme la théoricienne de la littérature Tiphaine Samoyault, qui a questionné cette année, dans le cadre du cycle Marc Bloch de l’EHESS, le « lire-ensemble » à l’heure de l’extension des bibliothèques numériques. Ou encore l’écrivain Cyrille Martinez qui interroge, dans nos pages, à travers une fable mordante, l’avenir des bibliothèques à l’heure du virtuel.

Pour la conteuse Doris Lessing, Prix Nobel de littérature, il n’existe qu’une façon de lire, « elle consiste à flâner dans les bibliothèques et les librairies, à prendre les livres qui vous attirent et ne lire que ceux-là ». Auteur-dessinateur a la mémoire longue, François Schuiten se souvient des très très grands livres que son architecte de père collectionnait, « parfois ils mesuraient plus de quatre-vingts centimètres de hauteur », témoigne-t-il. Des ouvrages-monstres, des œuvres-mondes, expression de la puissance symbolique et de la grandeur des livres pour l’enfant qu’il était, fasciné par la bibliothèque familiale, un concentré d’art et de savoir, un lieu mystérieux qu’il n’a cessé de reproduire dans ses dessins et ses albums, comme L’Archiviste. François Schuiten illustre ce numéro de son imaginaire livresque.

En cette fin d’année, quels romans étrangers récemment parus pourraient enrichir votre bibliothèque ? Une bonne critique, pour Doris Lessing, toujours, ne consiste pas à dire si un livre est bon ou mauvais mais à « essayer de comprendre ce qu’a voulu faire l’écrivain ». Ce regard critique, cette critique « véritable », vient le plus souvent « d’une personne réfléchie
qui lit beaucoup suivant ses propres instincts », poursuit l’écrivaine
britannique dans la préface de son chef-d’œuvre Le Carnet d’or. C’est à
cette exacte définition que répondent les contributions des auteurs de notre
cahier critique, quinze romanciers passionnés de lecture qui partagent avec vous leurs intuitions et leurs tentatives de compréhension du monde, à travers l’œuvre d’un écrivain.

En ouverture, Blandine Masson vous fait réentendre Tous des oiseaux, pièce-phare de Wajdi Mouawad, dont la dramaturgie s’inscrit au cœur du conflit israélo-palestinien. Lors de sa création pour la première fois à Paris en 2017, le metteur en scène libano-canadien confessait vouloir placer la question de l’Autre, de l’ennemi comme axe obsessionnel de son théâtre. Une question qui résonne fortement dans l’époque. Mais aussi celle soulevée par Hécube d’Euripide, pièce réécrite par Tiago Rodrigues et relue par Olivier Barrot. Enfin, un retour aux origines du théâtre par le dramaturge David Lescot avec Les Perses d’Eschyle, mis en scène l’été dernier par Gwenaël Morin au Festival d’Avignon, « une œuvre inquiète qui invite les vainqueurs à ressentir la détresse des vaincus ». Trois tragédies d’hier et d’aujourd’hui.

Pour porter ce numéro intégralement dédié au pouvoir des livres et aux gardiens de nos archives, La NRF s’est associée à l’ONG Bibliothèques sans Frontières, parrainée par Augustin Trapenard et présidée par Patrick Weil, passeurs de livres là où l’accès à la connaissance se restreint.

Ce site ne propose à la vente que des numéros et articles au format numérique. Pour acheter en librairie la revue imprimée, rendez-vous sur le site des Éditions Gallimard.

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