La Nouvelle Revue Française


Mars 2022
La Nouvelle Revue Française, N° 653
Parution : 17/03/2022
144 pages — 9782072983504

Aurait-on un doute sur la question qui est débattue dans ces pages que la lecture de cette NRF de printemps nous rassurerait. Oui, la langue française est bien cette reine Victoria qui parle aux siècles, oui notre vie en dépend, oui l’Académie française est bien ce club gratuit où l’on peut venir s’asseoir et discuter anaphore. Et non, il ne faut pas céder aux pressions de la mode. Mais Richelieu était-il un gars de nature à se plier aux ordres de la mode ?

L’« autrice » a été à la fête, ces dernières semaines. Cela valait la peine de soupeser les choses. Les habitudes masculines ou féminines, en matière de langage, n’aiment guère que l’on bouscule les horaires. Les partisans de l’autrice avaient pour eux l’application de la « loi » – disons l’application d’une habitude légitime, qui sait qu’il faut toujours compter avec la douceur d’un long usage. S’agissant du français, on touche immédiatement à ce mystère de la beauté d’une langue qui a eu pour elle la justesse, l’adéquation du mot à la chose. La musique de la langue française conjugue la transparence liquide avec l’arête du silex. On ne bouge pas cela, ou l’on s’en remet à l’usage. Le lecteur trouvera ici de quoi subvenir à son besoin de clarté, de justesse musicale.

Le linguiste Bernard Cerquiglini apporte ici les munitions nécessaires à l’animation du débat, on ne pourra plus dire qu’on ne savait pas. Et l’on pourra surtout éprouver en quoi la langue française n’est pas un bel habit que l’on contemple dans la vitrine du musée. Ce sont les écrivains qui font vivre la langue. De Villon à Céline, de Balzac à Lautrémont, on se perd à l’idée d’une bibliothèque qui saurait restituer la longue histoire des secousses qui ont fait l’histoire de la langue française. Un mouvement  d’alternance, qui joue à la fois de la justesse et du gouffre. C’est Giraudoux qui évoque l’« idée » d’un feu dévorant au cœur de la sobriété et l’on pourrait aller plus loin encore. Ortega y Gasset, dont La NRF publie ici un texte inédit, avait aussi en tête cette nudité de la langue française qui est comme l’eau de la rivière : on peut la toucher à la cascade, on ne peut s’en saisir. À la fin, c’est toujours la cascade qui gagne.

Ainsi s’établit, au fil des générations, un ballet dialectique entre l’ordre et le désordre. C’est Claudel qui a le mieux parlé de Rimbaud et l’on pourra renverser à loisir une telle proposition. Le débat sur les nouveaux usages du français est pleinement légitime dès lors qu’il se montre capable de tenir dans une même main la rigueur de la partition et la musique qui en jaillit. Il y a là de quoi inventer de nouveaux chants : à la fois pour l’amour d’une certaine familiarité comme le peintre Chardin nous la fait entendre et pour l’amour de la profondeur, jusque dans ses ombres les plus redoutables. Ce n’est pas Jack Kerouac, dont on fête le centenaire de la naissance, qui nous dira le contraire.

Kerouac voulait écrire en écoutant l’Amérique. Il était un écrivain joueur de musique. Il ressemblait au vagabond – le « beat » qui arpente la route américaine, dort à l’ombre des wagons. Jean-François Duval, qui a connu quelques-unes des figures de cette époque, nous fait participer au voyage, notamment en compagnie de LuAnne, qui fut un moment la petite amie de Neal Cassady, compagnon de bitume de Kerouac. Mais il ne s’agit pas tant d’entretenir les dorures du mythe beat que d’écouter la mélopée en s’interrogeant sur sa matière intrinsèque. Le blues, le jazz, le rock forment ici un exemple de band. Kerouac a été le seul à jeter des ponts d’une rive à l’autre. C’est la freeway qui nous attend encore.
Bonne lecture,

Michel Crépu

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La revue complète : 10,99 €

Sommaire
Éditorial
 Aurait-on un doute sur la question qui est débattue dans ces pages que la lecture de cette NRF de printemps nous rassurerait...
Michel Crépu
Pages 5-7

L'article 2


La langue française : état des lieux
La langue française en état de siège (entretien)
Alain Borer
Pages 11-19

L'article 3


La langue française : état des lieux
Le parti de la langue
Bernard Cerquiglini
Pages 20-27

L'article 3


La langue française : état des lieux
Grâce et disgrâce de la langue française
José Ortega y Gasset
Pages 28-32

L'article 2


La langue française : état des lieux
Traversées
Gilles Ortlieb
Pages 33-36

L'article 2


La langue française : état des lieux
Propos comme ça sur l’avenir des langues
Philippe Delaveau
Pages 37-41

L'article 2


Jack Kerouac : regards sur la route
Les nuits et les mots
Pierre Guglielmina
Pages 45-53

L'article 3


Jack Kerouac : regards sur la route
La Bretagne imaginaire de Jack Kerouac
Thierry Gillybœuf
Pages 54-60

L'article 2


Jack Kerouac : regards sur la route
LuAnne sur la route avec Neal Cassady et Jack Kerouac
Jean Francois Duval
Pages 61-65

L'article 2


La littérature aujourd'hui
Moino
Caroline Lamarche
Pages 69-76

L'article 3


La littérature aujourd'hui
Gymnopédie
Lola Gruber
Pages 77-81

L'article 2


La littérature aujourd'hui
Les adieux. Suite
Frédéric Verger
Pages 82-88

L'article 2


Double vue
Valery Larbaud (présenté par Michel Crépu)
Léon-Paul Fargue
Pages 91-108

L'article 3


Conversation épistolaire
Une variation sur La victoire de Samothrace
Michel Crépu, Pierre Michon
Pages 111-118

L'article 3


Notes de lecture
Thierry Le Rolland, Les papillons de Nabokov ou le boomerang de Gracq (Arléa)
Thierry Gillybœuf
Pages 121-123

L'article 2


Notes de lecture
Henri Droguet, Toutes affaires cessantes (Gallimard)
Laurent Demoulin
Pages 123-124

L'article 2


Notes de lecture
Ivan Gontcharov, Portrait de Monsieur Podjabrine (Éd. Sillage)
Mikaël Gómez Guthart
Pages 124-125

L'article 2


Notes de lecture
Georges Séféris, Journées, 1925-1944 (Le Bruit du temps)
Louis Pailloux
Pages 126-127

L'article 2


Notes de lecture
Dictionnaire Valery Larbaud (Classiques Garnier)
Michel Crépu
Pages 127-129

L'article 2


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