Votre panier est vide. Achats et téléchargements des revues, de leurs articles et de l'abonnement numérique disponibles pour la France, les DOM-TOM et Monaco.
Achats et téléchargements des revues, de leurs articles et de l'abonnement numérique disponibles pour la France, les DOM-TOM et Monaco.
Reference:
Présence du fauve
Éditorial
Il paraît qu’un jour, Francis Bacon brûla cent tableaux de sa facture. La réédition des entretiens du peintre avec Michel Archimbaud[1], à l’occasion de ses cinquante ans de vie éditoriale, nous remet en présence de ce fauve. Bacon se moquait de savoir s’il était d’équerre avec les fausses hiérarchies du marché de l’art aussi bien que celles de la bibliothèque. Cet homme très cultivé n’avait pas d’oreille pour les perroquets. À Michel Archimbaud, il parle d’« instinct ». On est très loin du salon où l’on cause haut de ce que l’on ignore tout bas. Soudain, nous voyons un tigre fouiller les ronces, chercher la faille où s’engouffrer. Les ronces, c’est la toile ; la faille, c’est l’événement qui fait soudain exister le tableau. Le tigre, c’est le peintre. D’ailleurs, Bacon ne parle pas de faille mais d’« accident ». Quelque chose d’imprévu, qui était marginal, se révèle tout à coup central. Parfois, l’artiste s’obstine, il veut reprendre la main, aller dans la direction prévue alors même que le tableau, dans son silence énigmatique, veut aller ailleurs, dans la direction opposée. Car le tableau est têtu comme une mule, et malheur à celui qui veut jouer au plus fin avec lui. À ce jeu, on ne sait d’ailleurs plus très bien qui est la mule, qui est le tigre. Ce qu’il faut surtout, c’est écouter ce que signifie l’« accident » : sinon, il y a un semblant de tableau, une illusion de savoir-faire, une imposture de brio. Pas de pitié, chez Bacon, pour les petits malins, les pseudo virtuoses qui cherchent à éviter le moment capital de l’accident, du saut dans le noir complet sans lequel il n’y a pas d’acte créateur. Bacon n’aime pas les solutions de facilité, il aime l’accident, la confrontation, le néant joyeux. Sinon, à quoi bon peindre des tableaux ?
(...)
La peinture est un sport solitaire. Le sport est-il un art ? Marquer un but, un acte créateur ? Ceux qui ont vu jouer le footballeur Johan Cruyff qui vient de mourir répondent oui et ce n’est pas Michel Platini, dont Gregory Schneider nous donne ici un singulier portrait, qui nous dira le contraire. Comme Sainte-Beuve voyait en Daguesseau un « Pline de l’antiquité finissante », ne craignons pas de voir en Platini un Tiepolo du ballon rond. Manière, par les voies de l’analogie en état d’ivresse, d’apprivoiser l’animal. Le monde du sport ressemble à ce theatrum mundi où paraissent et disparaissent les héros. Une comédie humaine où le génie du geste se trouve sans cesse mêlé de compromissions si douteuses qu’elles font douter du génie sportif lui-même. Autant de raisons supplémentaires pour la littérature d’y mettre le nez. Comme en politique, quand l’odeur du pouvoir est si forte qu’on est obligé d’ouvrir les fenêtres. Marc Dugain les ouvre pour nous. Voici la saga Kenned, une saga de fauves de première catégorie. Dugain s’en explique ici comme d’une hantise dont il ne peut se défaire. Hantise à la fois personnelle et familiale, liée aux lointaines origines irlandaises des O’Dugan. La ménagerie du pouvoir recrute dans les ténèbres, comme La malédiction d’Edgar nous l’avait bien montré. C’était John, alors, le motif central. Aujourd’hui c’est Bob, le jeune frère, dont on revoit le corps ensanglanté, le jour de son assassinat, au milieu d’un désordre de départs en vacances. Encore une histoire de fauves lâchés en pleine nature. Elle eût pu être aussi bien celle de T. E. Lawrence, racontée par Anthony Sattin dans un livre qui vient de paraître en Angleterre et dont Lucien d’Azay voudrait qu’il soit vite traduit en français. « Lawrence d’Arabie » n’a pas été assassiné. Après avoir failli devenir le grand caïd de la cause arabe, il s’est contenté de mourir dans un accident de motocyclette sur une petite route d’Angleterre. Mettons simplement qu’il y a ceux qui meurent et ceux qui ne meurent pas. Tout de même, les Kennedy auront été plutôt du côté de ceux qui meurent. Cette histoire nous hanterait-elle à ce point si ne s’y trouvaient mêlés à la fois l’ingénuité d’une promesse radieuse bien typique des sixties et son contraire de crime impénétrable, bien typique de tous les temps ?
À la fin du Temps retrouvé, Proust insiste sur le fait qu’un écrivain ne doit pas chercher à court-circuiter les difficultés du parcours. Au contraire, à lui d’épouser les sinuosités, les plis, les anfractuosités du réel. Malheur à l’écrivain qui croit atteindre plus rapidement son but au moyen de quelque subterfuge. Le subterfuge est le royaume des petits malins ; à l’écrivain véritable l’inépuisable expérience du monde et l’entreprise éperdue de son infini récit. David Bosc nous en donne ici quelques nouvelles supplémentaires, et c’est encore la peinture (ici celle de Pascal Vinardel) qui est l’espace privilégié, comme s’il s’agissait d’une terra incognita non encore annotée. Des nouvelles, donc en provenance du territoire inconnu, celui-là même qui faisait du peintre Bacon un rôdeur de minuit et qui se manifeste ici dans l’accomplissement du geste littéraire par excellence. Un art de connaître autrui. La nouvelle inédite de Frédéric Beigbeder nous en donne une version drôle quoique inquiétante, tandis que Renaud Pasquier nous donne envie d’emporter les romans antiques grecs et latins comme lectures d’été…
[1] Francis Bacon, Entretiens avec Michel Archimbaud, Folio essais n°289.
Attention : dernières pièces disponibles !
Date de disponibilité: 08/07/2016
Il me semble pouvoir dire, et le passage des années n’y a rien changé, que mon entrée en littérature correspond avec la lecture du Roi des Aulnes et que j’ai ainsi découvert, l’été de mes dix-huit ans, tout ce qui fait un grand roman : un ancrage résolu dans l’univers et l’imaginaire germanique, une construction impeccable et autarcique, un jeu de signes qui se répondent, une densité fantasmatique qui, à aucun moment, ne se laisse endiguer par le verrou de la pudeur ou de la bienséance, une progression initiatique où la fiction trouve son élan, une ampleur, une conscience mythologique, une manière d’embrasser l’Histoire et de la déchiffrer, attestant le talent et l’assurance d’un romancier déjà maître de son art.
Ce sont les fruits de l’orgueil, du mauvais goût, de la ferveur, de l’esprit de conquête, de la jalousie, de la folie douce ou furieuse, qui font aux villes, en pourrissant un peu, le terreau de leur beauté. Dans les grands volumes des immeubles bourgeois, les signes de la prospérité – les ors, les trumeaux, les moulures – ne sont devenus tenables, puis charmants, qu’après que celle-ci a passé.
Mon père a surgi dans le couloir, chancelant, appuyé sur sa jambe décharnée, les larmes aux yeux : « Ils ont tué Kennedy. » J’avais six ans. Souvenirs réels, souvenirs reconstitués à l’aune d’une sensibilité particulière ? L’élan de modernité, l’espoir d’une génération insufflé par JFK venait d’être terrassé par une bande de vieux conspirateurs du monde d’hier, alliance de vulgaires mafieux, d’exilés cubains vindicatifs, de militaires arrogants animés par les caciques de la CIA...
Un oiseau de mer blanc plane en solitaire à travers les couloirs de l’hôpital de Beckomberga, dans le pavillon Grands Mentaux Hommes. Il est immense et luminescent, et dans mon rêve je lui cours après pour tenter de le capturer mais je ne parviens pas à le rattraper à temps : il s’enfuit par une fenêtre brisée et se volatilise dans la nuit.
Le sport est un outil de préhension du monde, comme la cuisine ou la littérature. Et le champion ? C’est beaucoup lui demander. Il faudrait qu’il évolue sur un temps long – dépassant le nombre d’années d’une carrière, en pratique – et que l’œil avec lequel on l’observe (nous) évolue à chacun de ses soubresauts, la constitution d’un tableau à la fois varié et impressionniste, plus ou moins bouclé sur lui-même, étant à ce prix.
L’une de mes amies possède un piano dont elle ne joue pas. Elle le conserve dans un coin de son salon comme un objet décoratif, couvercle ouvert pour les grandes occasions. Il y a quelque temps, elle a fêté son anniversaire et parmi la quinzaine d’invités rassemblés chez elle ce dimanche-là se trouvait une jeune femme accompagnée de son garçon de six ou sept ans.
Avant de vous parler de Kiara, laissez-moi vous dire que j’ai le goût des choses simples. Je rêve d’un monde où les trucs ne seraient que des trucs. Il n’y aurait pas d’options niaises, de bonus burlesques ni d’applis ridicules. Les téléphones seraient des téléphones, point. Les montres seraient des montres, point. Je rêve d’un monde-point.
La « chambre du haut » fut un sujet de conflit dans la famille pendant toute notre enfance. Je parle de la maison de ma grand-mère et de l’unique chambre de l’étage, qui correspondait en réalité à un faux grenier. De l’extérieur, elle ouvrait par une porte fenêtre sur un petit balcon peint en rouge, élégant et décoratif, qui donnait à la maison un vague cachet de chalet basque. L’intérieur, c’était autre chose.
La virulence des débats sur la réforme du collège et, plus spécifiquement, sur l’enseignement des langues anciennes, n’a pas fait grand bien à la culture gréco-latine – ou plutôt à sa situation contemporaine. Prise dans les rets de la polémique, ballottée entre détracteurs et défenseurs, elle devient pour les uns le jouet désuet d’une élite dont elle favoriserait l’inique domination, pour les autres un héritage sacré, rempart contre la barbarie, viatique indispensable pour une citoyenneté accomplie. Dans un cas comme dans l’autre, éloge ou blâme, on brosse des portraits aussi austères qu’intimidants, peu faits pour susciter le désir ou la curiosité.
Archéologue, écrivain, aventurier, espion et officier de liaison de l’Armée britannique, Thomas Edward Lawrence marqua d’autant plus les esprits qu’il anima la Grande Révolte arabe de 1916 à 1918. Le succès des Sept piliers de la sagesse, la « symphonie morale » que lui inspira son expérience, ne fit que contribuer à la légende – et au malentendu – jusqu’à la consécration hollywoodienne (sept oscars) du film de David Lean, avec Peter O’Toole, en 1962.
Récemment, au cours d’un déménagement, j’ai retrouvé un manuscrit, accompagné de deux Polaroids. Sur la première photographie, on distingue une jolie blonde allongée sur un lit d’hôtel. Je suis incapable de me souvenir de son prénom. Elle a un ventre bronzé. Le ventre est une partie sous-estimée du corps féminin. Un ventre doré et duveteux peut être plus excitant qu’une paire de seins ronds. La fille sur le pola possédait les deux. Le second cliché représente son nombril en gros plan ; un nombril très creux, contenant une substance liquide blanchâtre (crème solaire ? gel douche ? je l’espère car je suis un auteur « tous publics »).
La NRF – Michel Archimbaud , vous fêtez cette année vos cinquante ans d’édition. À cette occasion, Folio Essais vient de publier vos entretiens avec Pierre Boulez, parmi d’autres grandes rencontres, notamment Francis Bacon (dont les entretiens sont régulièrement réédités). Vous avez débuté dans le métier de l’édition en côtoyant de grandes figures, telles celles de l’éditeur José Corti ou du philosophe Gaston Bachelard. Vous étiez alors encore un adolescent, mais déjà passionné par tout ce qui touchait aux arts du spectacle.
Si l’on y ajoute les entretiens avec David Sylvester, ceux que Michel Archimbaud a eu avec Francis Bacon comptent parmi les « documents » les plus exceptionnels qui soient dans la confrontation du texte avec la peinture. Leur réédition, à la faveur des cinquante ans de vie éditoriale de Michel Archimbaud, est une excellente occasion de faire le point sur la puissance d’une œuvre, une des plus magistrales du xxe siècle, une des plus silencieuses dans son mode d’existence.
Un trio d’hommes courbés dans l’effort, chorégraphie de corps arqués au-dessus de lignes de fuite qui forment un paysage clos de champ de labours. Les ovales des bras répondent aux lignes raides du parquet, des regards s’échangent, la bouteille de vin est ouverte, c’est bientôt l’heure du repos. Dans le fond les moulures mordorées prolongent les arabesques du balcon en fer forgé d’un appartement haussmannien bientôt neuf. Les raboteurs de parquet de Gustave Caillebotte est son tableau le plus célèbre.
Un conte drolatique et sensible sur le deuil. C’est l’étonnant pari que réussit ce premier livre de Max Porter en mettant en scène un père, ravagé par la mort soudaine et brutale de sa femme, ses deux petits garçons, et un corbeau. Oiseau de malheur par excellence, Corbeau, puisque tel est le nom que son créateur, le poète anglais Ted Hughes, lui a donné, débarque avec fracas et puanteur sur le seuil du petit appartement londonien quelques soirs après le drame.
Olympe, une petite fille, « coiffée-broussaille », s’empare d’une chauve-souris ; ce sera son jeu pour les jours qui viennent. Des garçons trouvent un gorille mort et racontent qu’ils l’ont tué ; ce sera le festin du village, au bord de la rivière Ebola, un village de saigneurs d’hévéa.
Sur l’île de Rugen, une station balnéaire populaire jamais utilisée par ses constructeurs nazis a été reconvertie en salle de ventes. Le narrateur venu là autant par curiosité que pour y acquérir la bibliothèque sans valeur de Hans Reiter se croit en terrain conquis. C’est sans compter sur Ernst Gunjer, rival à l’apparence fluctuante, qui raflera la majorité des lots. Qu’est-ce donc que cette bibliothèque ?
On ne sait même plus très bien jusqu’où il faut remonter dans le temps pour trouver un livre portant en sous-titre ce « mémoires », venant d’un auteur aux curiosités multiples, de Michaux à Hokusaï, de Mishima à Stendhal. « Mémoires », sans en appeler aussitôt à Chateaubriand, le dernier véritable en date, cela veut dire que l’auteur ne souhaite pas être lu à la manière d’un roman.
Ce site utilise des cookies nécessaires à son bon fonctionnement. Pour plus d’informations et pour en paramétrer l’utilisation, cliquez ici. En poursuivant votre navigation sans modifier vos paramètres, vous consentez à l’utilisation de cookies.