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On donne en ce moment au Châtelet Un américain à Paris, le chef-d’œuvre de Georges Gershwin dont Vincente Minnelli fit le film que l’on sait. Gene Kelly descend les Champs-Élysées comme un matelot faisant escale, il est heureux, la vie est belle. La coupe de son pantalon est simplement parfaite. Qui a donné à Dieu cette idée de créer Paris, un paradis sur terre ? On cherche encore la réponse. Ella Fitzgerald s’est elle-même posé la question, on pense à elle quand on entend redire pour la merveilleuse millionième fois « They Can’t take that away from me », propos inoxydable qui dit très bien les choses : ce qui reste, c’est ce qui n’est pas chiffrable, programmable, calculable. Le Beau platonicien est le même que le Beau de la petite marchande de fleurs de la place des Ternes, où Count Basie de passage lui achète un bouquet de roses. Une photo perdue dans le chaos des souvenirs témoigne de cette matinée volée au Programme. Basie porte un béret pour faire plaisir à la marchande, on est au printemps ou peut être lors d’un de ces matins d’hiver radieux que l’on ne pourra pas non plus nous arracher.
Un américain à Paris fut composé et joué à New York en 1928. Le film de Minnelli date de 1951, on y retrouve Leslie Caron et Georges Guétary, toute la légende cinématographique de cette époque. La Seconde Guerre mondiale vient de finir. Il n’est pas anormal de croiser des Américains sur les grands boulevards. Minnelli a magiquement tiré partie du poème symphonique de Gershwin. Ce dernier avait séjourné lui-même à Paris, jeune homme de trente ans, dilettante et réservé, tel un personnage rescapé d’Henry James, faisant l’expérience de la vieille Europe et en tirant les éléments d’une rêverie romanesque. Il y aurait peut être une légère étude à prévoir sur Henry James, Gershwin et pourquoi pas notre grande Ella ? Tout ce merveilleux climat de bonheur retrouvé après la guerre. Bonheur factice ? Non. April in Paris ne ment pas. La lumière de printemps ne ment pas. Elle fait simplement que l’on se demande de plus en plus à quoi ça tient. On peut voir Notre-Dame depuis la terrasse du Châtelet, pendant l’entracte, c’est une vision surréaliste. Les deux tours ont l’air d’attendre la reprise. Un petit ballet d’autobus fait son circuit pendant ce temps. La nuit est tombée sur la foule des usagers qui souhaitaient rentrer chez eux. Quel rapport avec les scènes humiliantes à la gare du Nord, il y a encore deux jours, de ces passagers s’enfournant dans des wagons archi-pleins ? Cela se passe aussi à Paris qui a gardé un bon souvenir de Gene Kelly.
Le théâtre du Châtelet a ceci de délicieux qu’il arrive à nous faire croire que chez lui, les beaux jours ont un abri de fortune. Les fantômes sont joyeux, au Châtelet, il suffit de fermer les yeux et ils viennent à votre rencontre. Les jeunes Américains qui sont au concert ce soir n’en savent rien et cela n’a aucune importance. D’ailleurs, on vient de découvrir en Indonésie à Bornéo une peinture rupestre vieille de 40 000 ans, c’est la plus ancienne scène de chasse au monde. Dans quarante mille ans, des archéologues californiens nous découvriront peints assis sur de petits fauteuils pourpres, dans une immense salle illuminée. Ils se demanderont : mais qu’est ce qu’ils font là, tous ? A Bornéo, ce sont des biches qui gambadent sur la muraille. Légères, fuyant le chasseur. Nous autres admirions le successeur actuel de Gene Kelly, Ryan Steele, qui gambade lui aussi sous les cintres.