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Monsieur de Créquy de Bonne, de Châtillon-sur-Chalaronne, abonné de longue date à La NRF, nous écrit : « Les malheurs du temps m’invitent à prendre la plume puisque personne n’a l’air de prendre ses responsabilités. Les musées fermés, les cordonniers à demi-clos, les réparateurs de chambre à air en vadrouille, c’est tout le discours sur l’histoire universelle qui prend l’eau. Je lance donc un appel vibrant aux âmes fortes, afin qu’elles relèvent le défi. L’heure est grave, elle est au détail inouï, contre les généralités nulles qui se déversent à jet continu. Un exemple ? Mon ancêtre Jean-François de Paule de Créquy de Bonne a été peint par Hyacinthe Rigaud, son portrait figure en bonne place dans un récent numéro de l’excellente revue Grande Galerie (Hiver 2021). Après une longue méditation sur ce point, je me trouve convaincu de vous présenter mon ancêtre, qui se trouvait un peu délaissé. Sa vue ne peut que nous procurer un sentiment de bienfaisance. Un peu d’air différent, tenant à on ne sait quelle chimie d’étoffes. Une expérience du Temps enfin quoi, zut. »
Le voilà donc, Jean-François de Paule. Pâle sur un fond de rose, revêtu de la cuirasse, enveloppé négligemment de velours bleu, tenant à la main ce qu’on ne saurait identifier comme un flûtiau, un sceptre de comédie, un léger jabot de dentelle. Intéressons-nous à ce qui a le moins vieilli de sa personne : son regard. Rigaud l’a installé dans son atelier, à la lumière d’une lucarne qui laisse passer le ciel en silence. Jean-François a l’air de suivre attentivement le travail de Rigaud, dont les travaux font honneur à la peinture française, surtout en mémoire du fameux portrait de Louis XIV qui nous accompagna si longtemps sur les bancs de l’école républicaine. Louis XIV ne peut pas être autre chose que Louis XIV. Jean-François ressemble à un jeune faon débusqué, ne sachant pas très bien si ses amis de la forêt sont au courant. Louis XIV semble déjà emporté aux cieux de la monarchie, il ne fait aucun doute que la monarchie sera encore là, dans ce déhanché de velours, dans mille ans. Jean-François n’est encore au courant de rien. Il faut se laisser prendre à la douceur de ce regard, dont M. de Talleyrand dira un jour que celui qui n’y a pas goûté ne sait pas ce qu’est la douceur de vivre.
Voyez comme la jeunesse de ce jeune faon qui doit écrire de belles lettres a quelque chose d’à la fois étudié et négligent. Encore un instant et il se lèvera, ira rejoindre un oncle quelconque qui l’initie aux arcanes de la cour. On est bien certain que si nous l’appelions de l’autre côté du tableau, nous entendrions sa voix étrangement sûre d’elle-même nous donner rendez-vous à la prochaine chasse de cet après-midi. Ainsi vont les choses de ce monde, si bien que nous n’avons plus qu’à les relier dans l’attente de les relire à tête reposée. La tête reposée, comme on pourrait le voir à la vue d’un lointain notulier de La NRF. Car tout se tient dans ce monde merveilleux des dynasties, l’almanach des royaumes évaporés où a passé notre ami Jean-François de Paule. L’immense Marcel aura sûrement pris connaissance des allées et venues du jeune faon de Créquy de Bonne. Peut-être une photo ?
Prière d’écrire à la revue qui transmettra.
Michel Crépu