Samuel Johnson dans les buts

Samuel Johnson dans les buts
| Publié le : 08/07/2021

Jeudi soir, du fond d’une chambre d’hôtel, la nuit couvre entière les coins d’ombre du parc. Corneilles criardes, rouges-gorges, hiboux sédentaires. James Joyce est venu finir d’écrire Ulysse dans ce jardin miraculeux. Une plaque le signale. C’est Larbaud qui était le propriétaire. Il vente un peu, le feuillage remue comme une légère vague liquide, on se croirait juchés à bord d’un galion égaré dans la grande Atlantique. Mais non, il s’agit seulement de cette villa où Joyce a joué un peu de piano les soirs d’automne. Fin des années trente, fin de toute une époque. On peut venir là, en faisant semblant de se tromper d’adresse, les touristes ne sont pas au courant, motus sur les lieux. Est-ce possible ? Oui, c’est possible, il suffit de ne pas bouger et de faire l’ignorant.

Ce soir, bruit de pétards de l’autre côté du jardin. C’est la demi-finale du championnat d’Europe de football. Depuis la chambre, les pétards semblent surgir du lointain d’un ancien quatorze juillet. Le match a lieu d’explosion en explosion. On mesure la provenance à l’intensité du « boum ». Les Danois ne sont pas donnés gagnants, ils sont donnés encore bien mieux. Leur joueur Christian Eriksen a failli succomber à un arrêt cardiaque. Raide mort, il devenait un martyr illico avec son ticket d’entrée au paradis. Au lieu que là, le dévouement médical a barré la route à ce qui eût pu devenir un final extraordinaire, Eriksen propulsé dans l’azur de la gloire éternelle.

Raide mort, Eriksen devenait l’objet d’un culte puritain à la mode scandinave. Pas de cierges, pas de photos, simplement une paillasse pour dépouille. Mais Eriksen n’est pas mort, il a été sauvé à la dernière minute. Et voilà pourquoi le Danemark a manqué la dernière marche avant le podium. Il a eu peur de gagner en perdant sublimement. Qui veut sauver sa peau la perd a dit le Christ, mais qui la perd la gagne, a-t-il précisé. Bien sûr, la décence nous interdit de penser à des choses pareilles. Il y a simplement que les Danois jouaient contre l’Angleterre. Et l’Angleterre, c’est l’Angleterre. Les histoires de miracle elle s’en tamponne. Il était donc tout à fait inutile de chercher midi à quatorze heures. Il vaut mieux imaginer une finale avec Samuel Johnson dans les buts. Nous disons bien Samuel, et non pas Boris. L’Angleterre ne pratique pas le culte, elle assure, c’est tout. Bras de chemise sous la pluie battante. C’est comme ça qu’il faut faire si l’on veut arriver à un quelconque résultat. La preuve.

Michel Crépu

 
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