Présence de George Sand

Présence de George Sand
Le blog de la NRF | Publié le : 09/02/2023

Presque tout ce que je sais de George Sand,c’est que la grand-mère de Proust, en lui lisant le soir ses romans champêtres, en sautait les passages amoureux. De là à en faire une autrice érotique, peut-être pas. Malgré l’excitation de ce vieil homme, tout content de venir me montrer l’autre jour, à une rencontre en libraire, la feuille où il avait recopié les douteuses acrostiches de sa correspondance avec Musset. 

La romancière était aussi l’une des quatre reines d’un jeu de cartes édité par le Reader’s Digest, avec lequel j’ai passé des heures à faire d’interminables réussites — il y avait là aussi Colette et Madame de Sévigné, j’ai oublié la quatrième.Sand était représentée avec des fleurs des champs accrochées à ses cheveux noirs. L’original de ce portrait, peint par Auguste Charpentier, se trouve rue Chaptal, au musée de la Vie romantique, dans le petit jardin duquel les amoureux continuent de se donner leur second rendez-vous. Ce couple, inévitable, était bien là l’autre jour lors de ma visite, qui s’embrassait devant la serre, près de l’arbre penché.

On trouve là aussi, de la main de George Sand, quelques jolies vues des environs de Nohant, où elle possédait un domaine — ce petit musée, d’ailleurs, est plein de mains en plâtre, l’amputation amoureuse par procuration ayant dû être un des principaux rituels de l’amour romantique. Un échantillon sous verre de l’un des motifs du papier peint de sa chambre bleue est accroché parmi d’autres reliques : médailles d’hommes célèbres par David d’Angers, cheveux pâlis dans des médaillons ou, assez joliment, petites fleurs de chardons artistiquement déposées sur les fauteuils interdits de la collection, pour les distinguer de ceux des gardiens.

Moi qui n’ai toujours pas lu George Sand, je me suis senti un peu découragé, quand j’ai vu sur un cartel qu’elle avait écrit une soixantaine de romans, soit presque autant que Balzac. Elle est d’ailleurs présente dans l’œuvre de ce dernier, qui en fait l’un de ses meilleurs personnages, spécialement dans Béatrix, roman fascinant, génialement situé à Guérande, sur la plus gracquienne des presqu’îles de France. Elle réapparaît ici ou là, sous le nom de Félicité des Touches, ou sous son transparent nom de plume de Camille Maupin. Elle joue par exemple un rôle important dans La rabouilleuse, peut-être le meilleur des Balzac inconnus, qui se déroule à Issoudun, à proximité de Nohant. C’est une histoire d’artiste débutant, genre dans lequel Balzac excelle, car il s’y montre le plus cruel, que ce soit dans Illusions perdues ou dans La cousine Bette — mais ici, le peintre Joseph Bridau échappe aux complots de sa jeunesse, et devient un artiste important. Notamment grâce au soutien de Camille Maupin. On a voulu y reconnaître le jeune Delacroix. On pourrait tout aussi bien y voir le peintre Ary Scheffer, dont le musée de la Vie romantique occupe les anciens atelier et maison : on ne sait jamais trop, avec Balzac, si la possession d’un hôtel particulier ne doit pas en dernier lieu être considérée comme le principal accomplissement d’une vie artistique réussie …

On trouve là, pour en revenir à La rabouilleuse, un adolescent un peu trop grand, un peu trop vieux pour cette ville trop petite et trop vieille, qui a refusé d’accueillir le train, et d'entrer dans le dix-neuvième siècle. Resté à jamais prisonnier de celle-ci, où il commet toutes sortes de plaisanteries potaches pour effrayer la bourgeoise locale, des plaisanteries dont le lecteur attentif de Balzac sait, qu’à Paris, elles lui auraient sans doute permis de prétendre facilement au titre d’artiste de génie.

Sur la route entre Châteauroux et Saint-Amand-Montrond, au sud d’Issoudun et juste après le passage du méridien de Paris, un panneau annonçait, quand j’ai traversé le Berry à vélo, la présence du domaine de Nohant : je m’en veux encore de ne pas avoir bifurqué, comme je m’en veux de ne toujours pas avoir lu George Sand. 

Je crois que je commencerais, si je le trouve enfin, par l’énigmatique Spiridion, roman historique qui raconte le destin d’un jeune moine accusé d’hérésie dans un couvent bénédictin, au XVIIIe siècle. Roman oublié dont on sait qu’il inspira, pourtant, à Dostoïevski, son meilleur lecteur, l’intrigue monacale éblouissante des Frères Karamazov…

 

Aurélien Bellanger

 

À suivre…

 
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