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L’Amérique fait le spectacle. C’est normal, c’est dans sa nature. À la tribune de l’ONU, Donald Trump déclare qu’il est prêt à détruire la Corée du Nord. Kim Jong Un, médusé, n’en croit pas ses oreilles, d’ailleurs bien dégagées. Une prime à celui qui arrive à interviewer le coiffeur de Kim, lequel nous paraît d’un cran supérieur à celui de Donald. L’Amérique, incarné par un demi-fou, apporte à son ennemi l’allumette fatale sur un plateau d’argent. Rêvé-je ? Quelqu’un a-t-il versé du LSD dans ma chocolatière ? On ne dirait pas. Ce film est vrai.
Quel dommage que Jerry Lewis soit mort cet été, il nous eût régalé d’un Zinzin de Washington qui manque terriblement au casting actuel. Heureusement, il nous reste l’homme de la situation post-apocalyptique, le dernier qui reste à bord avant le désastre final : Don DeLillo, l’auteur de Zero K,dans toutes les bonnes librairies[1]. J’écris « post-apocalyptique » uniquement pour faire chic, car c’est un concept qui ne veut absolument rien dire. De là son intérêt. Au fond, c’est très simple : le « post-apocalyptique » est une manière de laisser entendre que le roman de papa est terminé. C’est toujours ce que l’on dit quand on a rien à dire.
Don DeLillo a la réputation d’être lui-même froid et austère. Sur les photos, on dirait un personnage tombé d’un tableau de Hopper, à cette réserve près que les tableaux de Hopper sont pré-apocalyptiques. Don DeLillo, lui, vit dans un monde qui regarde la mort comme une procédure d’accès à l’immortalité cryogène. Dans Zero K , un homme accompagne sa femme en plein milieu du désert se faire immortaliser. Le fils accompagne, c’est lui qui raconte. C’est comme si DeLillo avait réalisé une sorte de synthèse du Meilleur des mondes d’Huxley avec la Montagne magique de Thomas Mann. On exagère bien sûr, mais c’est pourtant bien l’atmosphère terrifiante qui se dégage de ce livre. Les nostalgiques du psychédélique peuvent penser aussi au film Zabriskie Point d’Antonioni. Mais dans Zabriskie, on a chaud.
Le Zero K est le stade suprême de la glaciation. Même Kim Jong Un dans sa moumoute hivernale ne saurait tenir à ce régime. Le monde décrit par DeLillo ressemble à une gigantesque thalasso d’où peut surgir à tout moment la silhouette fantomatique de Nicolas Hulot en version hologramme bio. L’idéal serait d’arriver à joindre, post mortem, le cher Jerry Lewis pour une petite séance d’animation. Lewis, clown américain par excellence, était proprement tordant. Il était la vie même. Les gisants congelés de DeLillo, qui attendent par cent mille milliards de pied sous terre le réveil radieux font un public de glace à cette folie tourbillonnante lewisienne.
Jerry Lewis était la vie, le monde que décrit Don de Lillo est un monde gouverné par la mort. C’est le monde post-apocalyptique des retraités du cinquième âge qui prennent le frais. Tout ayant eu lieu au moins une fois, il n’y a plus qu’à se rasseoir en attendant la non-suite post-post Zero KK. Les temps sont mûrs pour aller faire un petit tour.
Michel Crépu.
[1] Zero K par Don DeLillo, Actes Sud, 298 p., 22,80 euros. Traduit de l’anglais (américain) par Francis Kerline.