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La mort de Philip d’Édimbourg nous a remis en présence de la reine Elizabeth avec ce génie de l’événement qui nous ferait croire que l’Histoire a un sens. Il n’y a que l’Angleterre pour faire vibrer une telle émotion. C’est le propre des monarchies auxquelles Bossuet rappelait le memento mori : Philip d’Édimbourg était au courant que tout part à vau-l’eau, il suffisait de le voir suivre Elizabeth, à deux pas derrière, comme se promenant. Mais il y a l’art et la manière. Lui et la reine, durant plus d’un demi-siècle, ont donné à la terre ancienne une leçon de distance. La distance comme un espace vide, un non-lieu qui voulait dire : sachez que nous ne sommes pas là pour dominer en propriétaire du Signe, mais simplement de passage. La conscience du temps qui passe est la seule façon de trouver sa forme dans quelque chose d’infiniment simple qui s’appelle l’élégance . L’élégance ? Un art de donner aux formes que nous habitons le sens du « je ne sais quoi » devant lequel on s’incline. Soudain, on se souvient que Swann, dans Du côté de chez Swann, « a peut-être dans sa poche une lettre de Buckingham ». Philip était comme cet amateur d’opéra, dans La Recherche, que Proust compare à ces lourds poissons d’aquarium qui tournent sans nous voir. Finie la comédie du snobisme, cette tentative grossière d’échapper à la festivité mondaine en essayant de retenir son attention. Philip s’en fichait, et il s’en fichait sublimement. Elizbeth s’occupait du reste : c’est-à-dire des royaumes, des affaires, des sottises du courant. Pendant que Philip lui faisait remarquer, dans les allées de Windsor, que le printemps venait de bonne heure cette année, elle causait un peu avec tel ou tel représentant de l’Histoire en cours.
Quelle extraordinaire tenue ! Plus la famille royale s’enfonçait chaque jour dans le marais des turpitudes, plus Elizabeth prenait le pli d’ajouter un peu plus de distance, sans jamais mépriser pour autant. Avec Diana, avec Andrew, avec tous ceux qui faisaient la une des tabloïds, elle avait ce chic de ne pas en rajouter. Jamais une interview : le pape François, à côté, fait figure de marchand de melons à l’encan. La tenue : c’était son job, auquel Philip servait de premier spectateur. Faire sentir que ce n’était pas elle qui faisait tourner la marmite du pouvoir, il y a des ministres pour cela, mais bien elle qui indiquait de quelle façon il convenait de se tenir vis-à-vis des siècles. Philip laissait les siècles lui servir de voiture d’accompagnement, et s’il y avait un problème technique, il avait l’art de récriminer à la rigolade. Lui et la reine devaient bien s’amuser, le soir, après telle ou telle cérémonie. C’est une volupté rare d’offrir un cigare aux siècles d’occasion. Le journal Libération a publié une admirable photo de Philip, soulevant son melon contre la pluie. Il n’a pas l’air fatigué, juste un peu de lassitude. Sans doute le moment était-il venu de prendre congé. Elizabeth demeure seule dans les couloirs du château. Les couturiers qui lui ont ciselé ces merveilleuses tenues vertes, ou roses, ou mauves devront avoir leurs noms fixés au haut d’un escalier de cérémonie. À quoi pense sa mémoire ? Peut-être à la jeune fille les jours du Blitz. Elle était amoureuse de Philip qui jouait suprêmement bien au polo. Il y a du Fitzgerald dans cette histoire à la Gatsby sans qu’on puisse donner à Elizabeth un autre nom que le sien. Le rideau a baissé de moitié sur la scène de cette incroyable histoire qui est celle de l’Angleterre et qu’André Maurois a si bien sue raconter. Qui s’en souvient, à part les siècles ?
Michel Crépu
Philip a demandé des obsèques sans tralala, mais au château, normal.