Parler la foudre. Avec Hölderlin et Benoît Chantre

| Publié le : 27/11/2019

Revoici Hölderlin. Il est le dernier grand rendez-vous que les Européens ont avec ce qui leur reste de vie spirituelle. Il faudrait s’entendre par « vie spirituelle », qui ne rime pas forcément avec le régime bio ambiant qui compte pour rien ce que Hölderlin mettait au plus haut et qui nous échappe désormais : la vie avec les dieux, à l’échelle d’Hypérion-ange ? archange ? poète ? Tout cela en même temps et d’une manière telle que nous le recevons, non pas comme un message de l’au-delà, mais une nourriture pour maintenant, dans le temps. Benoit Chantre, écrivain, éditeur, a été nommé par le cénacle des dieux, jeune trouvère délégué à faire un rapport sur la situation métaphysique. Aussitôt nommé, aussitôt a-t-il enfourché son cheval fougueux et il est parti à l’attaque. Il connaît tout le monde, les grands Anciens, d’Homère à Platon, les jeunes Anciens, grands frères des futurs modernes, qui sentent le vent se lever, avec un orage inédit, historique. Pour faire simple, mettons que Hölderlin est né avec la révolution française, l’apparition incroyable de Napoléon et que cela laisse une empreinte. Il passait ses journées à en discuter avec ses amis d’esprit, Novalis, Hegel, Goethe, mélangeons un peu le calendrier, de toute façon il n’y en a plus.

Il en sort ce livre, Le clocher de Tübingen[1] qui trace autour de Hölderlin, comme un cercle de feu. C’est quelque chose qui lui appartient en propre et qui est proprement insaisissable : la foudre qui reste à la fois calme et dévastatrice. Cela lui coûtera la santé mentale, une impossibilité simple à trouver l’équilibre entre le bas et le ciel et la terre, le tintement de la cloche de son village de Tübingen, on l’entend encore quand on lit ses poèmes : Les coups de l’heure au timbre d’or… Goethe, à coté de lui fait figure d’antipode, tant il apparaît sûr de lui, ne craignant pas de s’asseoir dans un fauteuil, plus à son aise pour bavarder avec le Dieu. Hölderin a quelque chose de Shelley, semblable à cela à ses amis de même génération : ceux qui ont eu la vision de ce qui se passait en France, à Paris, le déclenchement d’une véritable tempête qui ne fait encore que balbutier sa fin.

Il fallait ce trouvère électrique de Chantre pour nous faire sentir combien la terre tremble encore. Ce qu’il y a de passionnant dans son livre, c’est de retrouver, en 2019, la confrontation de l’espace mental français avec l’espace allemand, tout cela si abîmé et pourtant détenant les clés de notre salut européen. On est ici à la croisée du poème et de la politique, de la métaphysique et de la promenade sous les arbres. Philippe Jaccottet, qui a été, toutes ces dernières années, l’ouvreur de ce grand théâtre où les arbres semblent nous entendre, avait su nous faire écouter la note d’or et il nous avait aidé à y voir plus clair et « jouant » du paradoxe, citant Hölderlin : « Laissez passer ce qui se passe, les êtres ne passent que pour revenir, ne vieillissent que pour rajeunir, ne se séparent que pour s’unir plus étroitement, ne périssent que pour vivre d’une vie plus vivante ! »

Voilà la splendide leçon de ce livre étincelant, de nous apprendre l’orage intérieur où parlent la voix des dieux, les oiseaux, les animaux, dans le plus beau ciel d’après-midi. Sommes nous encore à la hauteur de la foudre hölderlinienne ? Chantre, tout occupé qu’il est à passer par les chemins de ronce et de lumière, ne nous attend pas sur le chemin, il file son train, ne voulant rien rater de cette heure merveilleuse, qui sonne encore dans notre cœur.

 

[1] Le clocher de Tübingen. Œuvre-vie de Hölderlin, Grasset, 2019, 336 p., 22 €.

 
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