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John Bancrow, le speaker démissionnaire des Commons nous manque déjà, lui, son micro, son hurlement « ooordeeerr ! » battant le rappel des députés. Johnson, qui passait jusque là pour le luron de service, a été laminé par ce personnage shakespearien. John Bancrow est la seule personnalité rassurante du moment : on se demandait où est passée l’Angleterre, elle est là et c’est bien une pièce de Shakespeare qui se joue sous nos yeux dans ce théâtre du Globe que sont les Commons. Voilà enfin une bonne nouvelle : les Anglais ne peuvent pas s’empêcher d’être des Anglais. John Bancrow a choisi de démissionner en réponse à la décision prise par Johnson de « fermer » le Parlement cinq semaines, « pour mieux travailler » à la sortie de l’Union européenne. C’est ce que l’on verra. Ce que l’on voit pour le moment, c’est une démocratie qui n’a pas peur d’être une démocratie. Même la suspension du Parlement, ratifiée par la reine (vaguement inquiète, quand même), fait partie du jeu. L’abus qui en est fait par Johnson lui coûtera peut-être très cher. Tout est dans l’abus. Suspendre trois jours, ce n’est pas la même chose que fermer cinq semaines. On espère que le Premier Ministre est conscient de ce dépassement que Bancrow a qualifié lui-même d’« outrage ». La rhétorique politique française, si passée au moule de la solennité républicaine, devrait retenir une leçon de ce « ooordeerr ! » qui se moque du bien dit et préfère à la rhétorique le feu de la parole elle-même.
Pendant ce temps, la rentrée littéraire poursuit son bonhomme de chemin. Un des livres singuliers de cette saison est Le monde horizontal de Bruno Remaury, chez José Corti. Remaury a joué gros la mise en tâchant de faire tenir dans son petit livre l’énormité du grand jeu des planètes, des événements de l’histoire du monde. On démarre avec Lascaux, on débarque à Manhattan avec les migrants de la grande époque, mais il faudrait aussi convoquer Dante et Christophe Colomb, et aussi les ouvriers morts dans l’explosion d’une mine en plein début du XXe siècle, celle-ci étant décrite par Remaury avec une sorte de sobriété ravageuse stupéfiante. Et comment ne pas non plus évoquer la silhouette familière de Jackson Pollock, araignée noire à l’assaut horizontal du dripping etc, etc. On y passerait des heures, à lire ce petit livre de 172 pages qui donne envie d’aller rouvrir l’un de ces merveilleux volume de la collection « L’Univers des formes » qu’avait créé Malraux. Enfin un endroit pour faire sentir les échelles de grandeur, la densité folle du temps des millénaires ! Les mineurs sont bloqués dans le noir, ils ne savent pas s’ils vont trouver une issue. Au-dessus d’eux, dans la pénombre, c’est comme si Bruno Remaury avait imaginé la course des chevaux de Lascaux. Nous la connaissons, bien sûr, cette course que l’on ne peut plus voir à l’œil nu, mais il n’est pas certain que nous ayons bien conscience du degré de raffinement qui a été celui des peintres de Lascaux. On devrait dire « école de Lascaux » comme on dit, à Florence, école de Donatello. Il y a déjà eu mille renaissances et cent mille déluges : la prime va à celui qui arrive à s’installer dans l’œil du cyclone. C’est une question d’art de la miniature. Non pas s’énerver à chercher le plus grand tableau possible mais au contraire se faufiler dans la fournaise comme la petite aiguille que personne n’a remarqué. On a connu de ces lézards qui passaient le plus clair de leur siècle à sentir la pierre sous leur peau. Eh bien là, c’est pareil.
Il est certain que Bruno Remaury a de quoi prétendre figurer au tableau des annales qui sera découvert dans cinq mille ans, au bas mot. On le conduira au balcon d’où il puisse, à l’attention de l’espèce humaine proférer la formule magique de l’école Bancrow : « ooorrrdddeerrr !! »