Nos ancêtres les surréalistes

| Publié le : 13/08/2015

La rentrée littéraire bat son plein depuis mars dernier, en gros. En réalité, c'est toujours la rentrée. Il n'est guère que le pauvre 5 août, où des stagiaires pâles errent dans des bureaux déserts, qui échappe à cette loi. Déjà, le roman chez Stock de Simon Liberati, Eva, portrait de son épouse, achève comme un premier cycle alors même que personne, ou presque, ne l'a lu. Speed résumé : Eva Ionesco est la fille de sa mère, Irina, artiste photographe. On se souvient, ou peut-être non, qu'Irina a mis naguère en circulation des photos érotiques de sa fille, alors à peine âgée de douze ans. Beaucoup d'ombres sur tout cela, l'ombre de la folie, de l'inceste, de la douleur. Avec Eva Ionesco on plonge dans le monde branché « Palace » des seventies, celui de la drogue, de l'alcool, des limites explosées. Un dark portrait, qu'on suspendrait volontiers au salon du château des Carpates. Irina a lu le livre de son gendre, elle l'a attaqué en justice pour qu'il retire soixantes lignes, elle n'a pas obtenu gain de cause. C'était la grande affaire juridico-littéraire de ces dernières semaines. Enfin apprend-on soulagé que le livre va sortir en entier, si l'on ose dire. Les soixantes lignes en accusation auraient pu s'arracher à cent dollars la virgule. Ce ne sera pas le cas ; il n' y a plus de justice.

On ne préjuge pas ici du talent d'Irina Ionesco. On mesure, à lire le livre, que la mère et la fille entretiennent des relations pour le moins complexes. Mais la question n'est pas là. La question est : Eva est il un bon livre ? Eh bien la réponse est oui. On dirait la Nadja de Breton refaisant une apparition. Vraiment ? Liberati est-il le nouveau Breton ? Non, j'exagère, mais il relève d'un lignage qui l'apparente : Nerval, Poe, Baudelaire. Nos ancêtres en surréalité. La lignée est là dans le livre, clairement identifiée et il ne faudrait pas nous pousser trop pour commenter cet article, cité par Liberati, qui parut autrefois dans un numéro célèbre des Études carmélitaines sur l'actualité de Satan : l'article en question traitait de la « peccabilité » des anges. Autrement dit : l'ange peut-il commettre des fautes ? En un sens, c'est le thème du livre de Liberati et nous nous réjouissons que cet article prodigieux, où un jésuite thomiste du nom de Philippe allait chercher la réponse dans saint Thomas plutôt que dans les boîtes branchées fréquentées par Eva et Simon, refasse lui aussi une apparition.

Pourquoi comparer avec Nadja, cela dit ? À cause du magnétisme. Eva Ionesco, rencontrée par Liberati, recréée par lui, est un personnage magnétique. Qu'est ce que c'est qu'un personnage magnétique ? C'est quelqu'un qui fait voir les choses du monde réel par réseaux invisibles, attractions secrètes, révélations foudroyantes. Il faut un « foyer » à cela, c'est Eva qui l'incarne comme Nadja dans le célèbre récrit de Breton. Cela n'empêche pas le couple de prendre ses repas à heures fixes, comme vous et moi ; d'aller faire des courses, chercher le lait, enfin quelque chose d'atrocement quotidien. Tout le monde est concerné par le quotidien, c'est un peu bête à dire. Nadja aussi prenait des repas et même André Breton allait sûrement aux cabinets. Reste que nous tenons là un livre splendidement écrit mais pour lequel tout se passe comme s'il avait déjà fait son tour médiatique. Se souviendra-t-on encore de lui dans quinze jours ? Peut-être que oui après tout, sait-on jamais. On voit de ces choses maintenant. En attendant guettez donc ce roman de Clelia Anfray, Le Censeur*, une plongée dans le monde intersidéral de la Restauration, celle de Louis XVIII et de Charles X – le dernier monarque avant que nous ne devenions tous des petits bourgeois. Les pages grincent quand on les tourne, comme un parquet Louis XVIII. Ce n'est pas un roman historique cela dit, ou alors tous les livres le sont. Vous écouterez son grincement, vous vous intéresserez à l'histoire singulière de ce « censeur » au service du roi, le pire job comme on sait et cela vous dira des choses de notre monde. Pas la peine d'être un roman historique pour cela. La vraie actualité, c'est l'histoire qui nous la donne.

Michel Crépu

* Gallimard, parution le 27 août 2015.

 

Commentaires

Paul-Jean | 21 août 2015
Les commentaires sont très divers, parfois surréalistes… J'aime vous lire et ce qui suit.

Ray | 16 août 2015
Toujours bien écrit. Jamais une seule faute d'orthographe. Quel bonheur ! Merci.

Alex Caire | 17 août 2015
Une sacrée invitation à la lecture, en ce "faux/vrai" debut d'année litteraire. Qui a dit que les livres ont des saisons pour paraître ; même si la plupart sont le "fruit" d'une telle ou autre imagination. À part les miasmes de Michel Haut Le Bec ( paraît-il qu'il vient d'être classé "secret défense"), tout va pour le mieux chez la République des Lettres !

Clark Gable | 18 août 2015
J'ai quelquefois envie de marcher sur la pointe du pied, pas de bruit pour vous voir vous entendre. Nous cultivons le silence ensemble souvent. Vous avez sû m'arrêter, me fixer, c'est nouveau et je suis ravi de ce nouvel état des choses. Mon cher adorable objet, o mon délicieux petit objet que je puis tenir dans une main en entier – tout près le soir de près  dans tous ses jolis détails qui brillent même le soir. Vous brillez  le savez-vous  vous êtes lumineuse et cristalline jamais opaque et fixe*  Extrait  Lettre de Fernand Leger à Simone Hermane  1932

 
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