Nos amis les arbres

| Publié le : 12/04/2018

Sans conteste, la seule vraie grande vedette de ce printemps est l’arbre. Les publications s’accumulent sur le pauvre comme elles s’accumulaient hier sur le colibri ou les marchands de chapeaux. Il n’y a rien d’émouvant comme d’apprendre qu’un brave promeneur est mort assommé par une branche de chêne qui ne tenait plus. Albert Camus lui-même, qui en connaissait un rayon quant à l’absurde, recule devant ce comble d’injsutice. Un arbre faire du mal au prochain ! De nature lente et pacifique, l’arbre est un peu au brin d’herbe ce que l’éléphant est au fameux colibri déjà évoqué.  Certains musiciens en savent long, comme cette Américaine qui, ayant posté de subtils appareils acoustiques à même le tronc d’un érable en restituait l’activité sonore : eh bien, on avait l’impression d’être à la sortie des bureaux à New York quand tout va mal à Wall Street. Ou bien encore d’être égaré au milieu du périphérique un jour de pointe, quand on se trouve prêt, bave de haine aux lèvres, à en découdre avec son voisin. On peut conclure de ces observations que l’arbre joue un double jeu : cool et calme pour le dehors, Chicago à l’heure de la pègre pour le dedans. Les poètes à flûtiau feraient bien de s’en aviser.  
Dans la collection qu’il dirige aux éditions Klincksieck, "De natura rerum", Eryck de Rubercy publie La matière des arbres. Il botanise ses arbres de prédilection comme en tournant les pages d’un livre rare qui n’existe qu’à peine en trois exemplaires. Celui-ci aura plus de lecteurs, mais Rubercy gardera pour lui certains secrets qui n’appartiennent qu’aux promeneurs du soir, quand les visiteurs  sont repartis. Rubercy connaît cette volupté de longue date, comme si la marche des siècles vers le monde hyper moderne avait décidé de lui ficher la paix. Il lit une lettre de la marquise de Sévigné, elle écrit au comte de Bussy : « Je suis venue ici achever les beaux jours et dire adieu aux feuilles ; elles sont encore tristes aux arbres,elles n’ont fait que changer de couleur : au lieu d’être vertes elles sont aurore, et de toutes sortes d’aurore, que cela compose un brocard d’or riche et magnifique, que nous voulons trouver plus beau que du vert, quand ce ne serait que pour changer. » On a beau dire que le XVIIe siècle ne fait pas beaucoup de place à la nature, la marquise prouve qu’elle connaît son affaire. Et il nous semble que La Fontaine serait aussi de nature à voler au secours des pauvres peupliers « au bord de l’onde ». Il est vrai, Rubercy le note aimablement,  qu’un seul vers de La Fontaine remplace vingt traités de botanique.
On laisse le lecteur butiner à son aise à « travers le printemps floral ». Mais que sont donc ces cris, ces pétards ? Un méchant nous aura guidé sur la route des zadistes de la Notre Dame des Landes où l’on défend sa botte de poireaux avec l’acharnement d’une section d’assaut. Comme c’est étrange ! Ce déchaînement là où ne devraient régner que luxe, calme et volupté. On sent qu’il y a là comme une crispation de civilisation, ce qui en reste. Quelque chose de vital, dans l’air, qui ne veut rien négocier. L’art de vivre en société consiste pourtant précisément à négocier sans cesse. Les arbres savent cela, comme les éléphants qui savent lire, dans le secret de leurs grandes oreilles. Au fond, tout cela pourrait nous ramener à u nouvel épisode de Babar. Babar au milieu des arbres, adjurant l’émeute zadiste d’éviter un bain de sang. Quelque chose nous dit que cela pourrait avoir son petit effet, cette secrète alliance des éléphants avec les grands peupliers. Il y a au moins une chose qui est sûre, c’est que cela amuserait beaucoup la marquise. Elle en profiterait pour dire au comte de Bussy de faire préparer la chambre pour la nuit prochaine. Fenêtre grande ouverte sur la nuit, l’immense frisson des feuilles dans le parc. Nous y sommes.
Michel Crépu

 
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