Macron, une histoire sans parole

Macron, une histoire sans parole
| Publié le : 06/12/2018

En une poignée de jours, on est passé avec Emmanuel Macron de la fulgurante campagne présidentielle à un sinistre Waterloo dont on ne sait même pas quel sera l’épilogue. Le modèle bonapartien servait pour décrire un talent politique hors-pair, une effraction de plein fouet du vieux milieu des parlementaires plus souvent à la buvette qu’à leur siège. Ce modèle a volé en éclats en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire. D’ailleurs, ce n’était pas un modèle. Juste un formidable coup de poker faisant tout à coup Macron l’héritier d’une culture politique française laissée en friche par ses prédécesseurs. Et voici qu’il ne reste quasiment plus rien de cette nouvelle donne. Que s’est il passé pour en arriver à ce stade d’évanescence ? Personne n’a comploté pour faire tomber Macron, il s’est auto désintégré tout seul. À force d’irréalité, d’intelligence abstraite des problèmes qui se posent au pays. À force surtout, et c’est là le plus stupéfiant, le plus incompréhensible, d’absence de relation à la parole. Rien ne peut avoir lieu de décisif en politique, qui ne passe par un usage bien choisi de la parole : on sait cela depuis Cicéron jusqu’au général de Gaulle. C’est le pouvoir du verbe, qui a aussi sa face noire mais qui est la vraie puissance. Si le verbe n’est pas là, il n’y a personne. Seule avec elle-même, une violence « comme une force qui va ». C’est ce qui se passe en ce moment-même.

On s’en veut de pontifier ainsi des énoncés grandioses. On peut aussi se demander simplement pourquoi, revenu de Buenos Aires, le président n’a pas repris aussitôt la main par le biais d’une première déclaration qui eût donné à tout le monde le sentiment qu’il y avait quelqu’un aux commandes. Au lieu de cela, nous avons assisté à un silence tactique, calculateur, et pour finir laissant passer devant lui un train lancé à toute vapeur. Le président Macron ne s’écroule pas, il s’évanouit. Pour qu’il s’écroule, il faudrait qu’il y eût d’abord un corps solide. Il n’est pas là. Il faudrait que cette quête éperdue des « gens » ait pu franchir les épais taillis de la réserve, de l’hostilité. La quête n’a rien donné, elle est tombée sur un mur de surdité, l’évidence triviale de la pauvreté. On avait perçu un peu de cette bonne humeur à la Chirac, lors du dîner avec les maires, à l’Élysée. C’était le bon temps, ça marchait, il suffisait de ne pas faire le premier consul cassant. Tout cela est loin, évanoui, comme un château en Espagne qui a eu juste le temps de faire un peu illusion. Si bien que se fait sentir à présent le sentiment d’une histoire sans parole. Les moratoires, les mesurettes, les annulations désormais si dérisoires, hier encore considérées comme des gestes fondamentaux. Tout a fui, s’est évaporé dans le ciel mensonger des plans com’. La parole si vitale dans de telles conditions s’est repliée comme une fleur. Comme il n’y a personne pour lui donner du souffle, on attend l’orage comme certains soirs d’été. Tout se passe comme si l’histoire qui avait lieu sous nos yeux se déroulait sans parole. Un film muet où dansent des ombres, réduite à l’imminente catastrophe. À cause de cela, il serait ahurissant que le président ne n’exprime pas avant samedi. Une simple, très simple question de responsabilité.

Michel Crépu

 
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