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Il n’y a rien de plus ennuyeux à écrire qu’un article sur les intellectuels. C’est ce que nous allons faire ce matin. En France, où le cogito s’équipait toujours d’une solide serviette pour se mettre à table, cette coutume a disparu au profit d’un régime alimentaire que la pudeur et le sens des droits de l’homme interdisent de révéler. L’intello n’a aucun goût, il ne connaît rien à la cuisine et il n’a pas même de vocabulaire pour cela. Le dernier a disparu à peu près au moment où s’installait l’émission de Laurent Ruquier On n’est pas couchés. Les archéologues datent son existence du bout des années 90. Cela reste à déterminer. Jusque là, il y avait encore des auditeurs au Collège de France pour y écouter les derniers ténors du savoir. Sur la Renaissance, l’art étrusque ou la philosophie anglo-saxonne. Tout cela existe encore, mais à l’état de fantôme. Quant aux « intellectuels » ils étaient un pléonasme pour dire « de gauche ». Jamais personne n’a croisé un intellectuel de droite. Cela se saurait. Même Jean-François Revel disait qu’il était de gauche – on s’en souvient, lors de cette spéciale émission d’Apostrophes à lui consacrée. C’est dire.
Le pléonasme a commencé de se déliter à mesure que l’édifice idéologique qui le supportait présentait d’inquiétants signes de faiblesse. Ce dernier vit ses derniers moments sous nos yeux, à mesure que s’élève l’astre macronien au firmament des sondages. Nous avions eu, ici même, il y a quelques mois, la vision d’un Macron nouveau JJSS. Un Jean-Jacques Servan-Schreiber du troisième type allait rompre le binôme droite-gauche au profit d’un nouvel éden sociétal. Cela n’allait pas sans une certaine ironie quand on se souvient ce qu’il advint du destin politique de JJSS : néant. Il n’est pas sûr que les choses en aillent de même pour l’angelot qui monte, qui a déjà dépassé plusieurs stades où il eût du exploser. On a beaucoup dit qu’il avait été « assistant » de Paul Ricœur – ce qui est inexact mais n’empêche pas qu’il ait corrigé les épreuves d’une bibliographie ricœurienne et même rendu visite plus d’une fois au vieux sage de Chatenay-Malabry, ce qui n’est quand même pas tout à fait pareil. Mais n’ergotons pas. Il est certain qu’il y a chez lui un goût spéculatif qui lui fait citer tour à tour Pascal et Lévinas devant Jean-Jacques Bourdin.
Si le lecteur de ce blog matinal n’est pas parti se recoucher à force d’ennui, nous voulons bien lui faire le cadeau d’une nouvelle hypothèse en forme de question atrocement barbante : de quoi Emmanuel Macron est-il le nom ? Eh bien peut-être de ce nouveau monde qui commence, auquel Marcel Gauchet a réservé le titre de son dernier ouvrage[1] et qui se distingue par une absence de pesanteur, quelque de chose de léger, bio, insaisissable et qui semble avoir déjà intégré la nouvelle donne du « post-humain ». Les dernières photos de mode en donnent une excellente idée. Il est certain que dans ce monde là, l’« intellectuel » du bon vieux temps de la bouffarde socialiste n’a plus sa place. Quoi, « post-humain » s’exclame-t-il en remettant un disque de Léo Ferré. « Comprends pas ! » En réalité, on se croirait dans un film de Kubrick.
Ne vous étonnez pas, vous y êtes.
[1] Le nouveau monde, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 2017.