Les grandes vacances

| Publié le : 25/06/2015

Il fait beau, les oiseaux chantent, vous entendez Charles Trenet à la radio chanter le coquelicot.  En pénétrant à l’intérieur de votre salle de bain, vous pensez que des gens sont morts pour que vous éprouviez cette sensation de « beau jour ». Ce n’est pas le moment de commenter la courbe du chômage, ni de soupeser les chances financières de la Grèce. D’ailleurs, ces chances ne sont pas si nulles, à en croire l’évolution des affaires. Nulles ou minces ? On sent qu’il y  du drame dans l’air, de la prise de conscience avant l’irrémédiable. Des gens sont morts également pour que cela soit possible. Ce qui se passe avec la Grèce, cela n’étonnera personne, ressemble assez à un travail en direct de la  raison. Ce que l’on peut faire, ce que l’on ne peut pas faire. Il y a encore du Platon dans la valise de monsieur Tsipras. Et même un peu d’Aristote. Plus en tout cas que ne pourrait le laisser entendre son absence paisible de cravate. On appelle ça l’Europe.

Mais l’urgence est ailleurs. Ni à Bruxelles, ni à Athènes, ni à New York ou Washington, où Madame Lagarde veille à la bonne tenue des cartables de la zone euro. Non, l’urgence absolue est de savoir ce que vous allez choisir comme lectures pour vos vacances. La valise de votre arrière grand père est là, elle attend qu’on lui dise « hue cocotte ». Cette question est de la plus haute importance. On aurait tort, à Bruxelles ou Athènes, de la juger superflue, pouvant attendre. Les livres sont comme ces planètes énigmatiques, qui irradient longtemps encore après leur mort. Un livre est mort dans la mesure où il n’est pas lu. Rouvrez le, c’est comme de rouvrir les volets d’une maison qui n’a pas servi. Il lui suffit d’un peu de lumière pour redémarrer. Eh bien avec les livres, la lumière, c’est vous. Des gens ont été fusillés pour que vous puissiez être un ouvreur de livres.

C’est la vertu des mois d’été de faire sentir ces choses indicibles. Juillet, août, voire septembre avec sa traîne somptueuse de vieil or. Prime aux grands romans ? Occasion rêvée de relire Anna Karénine ? Pourquoi pas. À condition de ne pas oublier l’hypothèse correspondance, journaux : par exemple le tome IX de la Correspondance générale de Chateaubriand* où l’on peut lire ces lignes : « J’ai été tout attendri par ces paroles : Nous marchons avec rapidité vers le lieu d’où l’on ne revient pas. J’aime beaucoup les îles Sorlingues : la mer et des chansons… » C’est à Madame Récamier qu’il s’adresse, mais l’égérie n’est pas la seule à bénéficier de ces délicieuses petites envolées. Six cent soixante cinq lettres pour ce seul volume : asseyez vous donc et laisser vous prendre à cette conversation d’outre-tombe. Ou bien, autre hypothèse : vous immerger carrément dans l’océan du Journal des Goncourt.  Voulez-vous dîner avec Baudelaire, assis là-bas au fond de la salle du café Procope ? Mais oui, c’est Baudelaire qui vous fixe depuis son col de chemise blanc comme un rasoir. Ou bien préférez-vous la promenade aux champs : « Dans le parc, un petit carrefour, toujours au soleil, où le foin non coupé, tassé sous les corps comme une vieille perruque, les herbes versées font comme des courants et des éventails jetés l’un sur l’autre… » Etc.  Les Goncourt sont à vous – il existe désormais une édition « Bouquins » tout à fait honorable.

Encore un peu de place ? Ne faites pas l’imbécile méfiant, prenez donc Les contes du chat perché de Marcel Aymé qui n’attendent que le signal du départ pour reprendre leurs facéties merveilleuses. Le chat qui fait pleuvoir, le canard noble et le cochon qui a « une grande âme ». À l’heure qu’il est (7h30 du matin, au milieu des oiseaux) il ne faudrait pas nous pousser beaucoup pour pousser un hurlement en faveur de TOUT Marcel Aymé**. Mais nous risquerions de réveiller les voisins. Quelque chose nous dit en tout cas que Marcel Aymé est un peu à l’amende du posthume. C’est fâcheux. Car nous avons là, sous le signe de la plus haute finesse et d’un art suprême de la modestie narrative, l’un des plus grands de la bibliothèque. Tout est prêt désormais et votre petit baluchon est rempli de fruits pour quand il fera grand soif. Bon voyage !

Michel Crépu

* Vient de paraître chez Gallimard.

** On le trouve en Folio, en Pléiade. Et puis pour les parisiens il y a toujours un Aymé qui traîne le long des quais de la Seine. Les provinciaux ont encore de merveilleuses librairies d’occasion.

 
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