Le micro du général Zemmour

Le micro du général Zemmour
| Publié le : 01/12/2021

La France, on le sait, est un pays politique qui se vit actuellement sous assistance respiratoire. Relire le Journal intime de Benjamin Constant (au choix parmi d’autres options) donne une idée de ce qui a pu représenter l’intimité intellectuelle de ces grands esprits. Quelle impression éprouvons-nous à la lecture de ces livres qui sont un peu comme les cathédrales de la philosophie politique ! On peut encore les visiter, les lire même et cela fait une drôle d’impression. On se dit, comme quand on déambule sous les voûtes de Notre-Dame, comment ont-ils pu faire cela ?! On s’est reposé la question, récemment, quand brûlait notre grande arche de Noé. On la voit aujourd’hui, grand silence de pierre que les touristes arpentent comme une fourmilière. Nous vivons un siècle passionnant, comme le sont tous les siècles qui se succèdent. On ne s’en rend jamais mieux compte que dans les périodes électorales, où la petite société humaine française prend la parole sur elle – même avec une passion émotive qui n’a pas d’égal dans aucun pays de cette planète.

Il fallait voir, hier soir, Éric Zemmour jouer au général de Gaulle devant un énorme micro de cinéma. Que voulait dire ce micro énorme ? Il faisait penser au téléphone qui sonne dans la chambre de James Bond où le regretté Roland Barthes voyait un « signifiant » du danger. Soudain la sonnerie et James Bond met la main aussitôt à la bien nommée « poche revolver ». Dans le cas du polémiste candidat, le signifiant est d’une tout autre nature. Nous sommes là devant une opération de filouterie qui ne peut pas échapper à tous ceux qui ont mis leur nez dans les livres d’histoire du XXe siècle. La filouterie est énorme, elle ne cache rien de son objectif : arriver, coûte que coûte, à procurer à la mémoire du maréchal Pétain un zeste de vertu qui lui donne le ticket d’admission au cercle des justes catégorie troisième classe, après rattrapage. Le micro de Zemmour veut dire : « je suis à Londres, je résiste à Hitler, je ne céderai jamais ». Une telle énormité, un tel mensonge ne sont rendus possibles que parce que le ciment historique est devenu friable, contournable. Le pari de Zemmour : arriver à faire tenir dans un même espace à la fois le signifiant De Gaulle et le signifiant extrême droite. Ce qui n’était pas pensable il y a encore quelques années (souvenons-nous de l’impitoyable Chirac) l’est devenu aujourd’hui.

Curieusement, une dose énorme de naïveté accompagne l’opération Zemmour. On se croit dans la chambre des enfants, où il suffit de déplacer un soldat de plomb pour modifier le réel. « On aurait dit que tu étais Zorro… » Au lieu d’être une épreuve à embrasser, le réel est devenu une matière malléable, la proie de petits stratèges qui évaluent leur chance à la mesure du cynisme nécessaire. « Je n’y crois plus », soupirait le candidat Zemmour, pour expliquer son choix de faire le saut. D’aucuns, pour cette raison, lui voient un côté « sympathique », ce qui est très vraisemblable pour les esprits un peu courts du chapeau. À quoi ne croit-il donc plus, ce jeune homme qui va peut-être s’écrouler ? Il n’a plus la force de se confronter à la complexité du grand théâtre des événements. Il substitue à l’épreuve majeure l’épreuve mineure de la réponse filoute toute prête à faire semblant d’entrer dans la bagarre. Simple question de « com ». Nos grands ancêtres dont se targue Zemmour nous ont pourtant appris le sens de la complexité. Éric Zemmour doit bien le savoir. Pourquoi n’en veut-il rien ? Il est tard pour revenir en arrière. Il serait encore temps pour lui de comprendre le calcul fou dans lequel il s’est enfermé.

Michel Crépu

 
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