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C’est un tableau du Moyen Âge. La foule des manants considère éberluée, la nef en feu. Notre-Dame-de-Paris brûle en silence devant la planète touristique, qui n’a pas été prévenue. Dans la nuit, un disque incandescent paraît tourner sur lui-même. On devine un monstre, là tout près, au bord du fleuve. Les manants sont frappés de stupeur. Les boîtes des bouquinistes se tiennent muettes. Il se passe quelque chose, on ne sait pas dire quoi. Quelle différence avec le terrorisme qui abat tout de suite ses cartes. Au lieu que là : le crépitement aveugle et régulier de la charpente, on dit la forêt. On dirait que le monstre veut parler, il saigne du feu, la fumée tournoie au dessus de l’île de la Cité, les dernières mouettes du bord de Seine s’égaient dans la brise du soir. Elles ne comprennent pas pourquoi les cloches de la tour ne sont pas au rendez vous. Un peu plus loin allant vers Bercy, quelques groupes épars font un pique-nique de soir de printemps. De là-bas, on aperçoit encore la nef de Notre-Dame comme une grosse braise, une broche rouge sang, un animal blessé demandant de l’aide. D’autres images, d’autres comparaisons sont possibles. Les démons de pierre, juchés sur les balustrades, font des commentaires, ils sont restés en ligne avec Victor Hugo, grand vainqueur de ce soir d’Apocalypse. Tout le monde est bouleversé par ce qui arrive à Notre-Dame dont Hugo a été le secrétaire dans la grande tradition du roman-roman à la française. Hugo fait en ce moment même le tour de l’émotion universelle. Il n’y a qu’en France que l’on peut voir se produire ce genre de chose. Cela n’a rien à voir avec le cocardisme. Hugo a su créer, par les moyens de la littérature, un lien filial avec un lieu dévolu à l’espace sacré du christianisme. Une cathédrale. Bien sûr, il fallait nommer ce livre : Notre-Dame-de-Paris, tout y est contenu. Le « notre » des enfants perdus, la « dame » d’amour courtois, et Paris enfin, la ville qu’on aime aimer. Une sorte de miracle trinitaire. Un épicentre spirituel valant à l’échelle de la planète. Il fallait y aller écouter l’orgue du dimanche soir, cette grande houle qui semblait dire à quiconque : tu es ici, chez toi. Oui, il y avait de la place pour tout le monde dans cette arche de Noé.
Tout le monde comptait sur Notre-Dame pour prendre en charge la part cachée des détresses. La célébration des « saints mystères » comme disait le chanoine. On le dit à l’imparfait, parce qu’on aurait sinon, l’impression de mentir. Il y avait cette sorte de certitude qu’un tel endroit était à l’abri de la malfaisance du sort ou celle des hommes. Une enquête est en cours, ne présageons de rien. Être atteint en un tel endroit était tout bonnement impensable. Il y avait un endroit, sur la planète, où l’on était sûr de pouvoir poser la tête. Eh bien cette certitude est partie en fumée. Que s’est il passé ? Notre-Dame-de-Paris, emblème de douceur, d’une douce majesté, a été percée au plus vulnérable et chacun a reçu la blessure comme si elle était sienne. Ce n’est pas une découverte, mais on doit reconnaître que l’effet de choc est colossal – colossal n’étant d’ailleurs pas le mot. Léger, infiniment léger vaudrait mieux. Un poids qui ne pèse pas et tout le reste dépend. La société des modernes a beau avoir tranché son lien, elle n’est reste pas moins blessée au cœur, comme elle ne s’y attendait pas, comme d’un amour qu’on croyait mort et qui ne faisait que dormir. C’est cela, cet amour qui s’est réveillé, lundi, à la lueur des flammes. Et c’est lui qui pleure ce soir, pleurera demain, les jours prochains. On peut écouter ces pleurs qui disent une vérité simple, à laquelle il n’y a rien à ajouter. Cette vérité est la tristesse des enfants perdus que nous sommes tous. Ces enfants pouvaient dire « Notre » Dame à Paris, ils savaient qu’il y avait une adresse au bord du fleuve où se mettre à l’abri. Depuis lundi soir, c’est le silence. La cathédrale passe les nuits comme un vaisseau fantôme décharné. Un nouveau voyage commence.
Alors bien sûr, il y aura une nouvelle flèche et de nouvelles amours. Bien sûr, il ne sera bientôt plus nécessaire de parler à l’imparfait. Le laminoir des générations va faire son œuvre. Le présent réclamer sa part. Il faut juste que nous apprenions la langue de ce nouveau présent encore dans les ruines. Et de nous rappeler le merveilleux Supervielle : « Un jour, quand nous dirons : c’était le temps du soleil, Vous souvenez vous, il éclairait la moindre ramille, c’était le temps inoubliable où nous étions sur la Terre. »Ça nous dit quelque chose, en effet.