Le football est un art

| Publié le : 05/12/2019

Que l’on soit amateur ou non, la démonstration de buts assénés hier soir par le joueur du PSG Mbappé face à l’équipe de Bruges (5 à 0) relève d’un savoir-faire qui dépasse de loin les pures limites techniques. On ne sait pas comment raconter ces accélérations prodigieuses, cette suite d’intuitions, comme font les calligraphes chinois, qui aboutissent à un trait de plume définitif, ce qu’on appelle un but. À côté, Zidane paraît en petite chaise roulante. Ce n’est pas seulement affaire de « groove » ou de « feeling » – comme disent les rockers et les jazzmen, mais de quelque chose en plus, qui associe la manière de jouer au résultat final. Dans le cas précis, le feu d’artifice d’hier soir restera au plus haut des anthologies pourtant déjà bien remplies – et ce n’est pas fini , nous assure-t-on, on veut bien le croire. Allongé sur la pelouse, à la fin du match, Mbappé avait l’air d’un jeune roi qui s’amuse. Ses adversaires l’ont salué, il n’y avait rien d’autre à faire. Nous avons eu une bonne soirée.

Ces images de génie footballistique tranchent singulièrement sur celles qui s’annoncent à travers tout le pays. La grève est un mot curieux qui appelle le rivage, le ressac, le déroulé inlassable de l’océan à nos pieds. Ce matin, marée basse, très basse. Les débats font rage sur le bien fondé d’un projet de réforme des retraites que la NRF ne se permettra pas de juger, ainsi qu’il convient. Certains régimes spéciaux remontent à une période d’avant la guerre de 14. Proust était encore vivant et la CGT non encore née, ou elle vagissait encore au berceau. Proust n’était pas un mordu de la rue en état d’émeute. Maurice Genevoix a raconté dans ses formidables mémoires (Trente mille jours) la visite qu’il fit, rue Hamelin, à l’auteur de la Recherche. On ne se lasse pas de la raconter. Proust était souffrant, ce jour-là, et l’entretien prévu se réduisit à un simple instant de porte entre-ouverte. Moment saisissant. L’un des plus beaux dans la longue série d’instants partagés avec cet homme que Morand comparait à un prince des mille et une nuits. Daniel Halévy l’adjurait de se joindre au défilé. Proust déclinait l’invitation. Il pouvait répondre comme Larbaud, « j’aime mieux lire ».

La société française a eu beaucoup d’écrivains pour la scruter, l’épier, l’aimer tout court. Aujourd’hui que cette société joue son destin, il ne se trouve guère d’amateurs pour prendre le relais. Pour le destin, prière de sonner à « Michel Houellebecq » si la concierge n’est pas dans l’escalier. L’auteur des élémentaires est le seul à posséder les clés de l’air du temps. C’est pourquoi il est toujours plus fort que ceux qui l’attaquent. On peut se demander pourquoi. Cela suffit il ? Question vaine, on ne fabrique pas du répondant artificiel quand il n’y rien dans le réservoir. Dans un roman pertinent paru au Cerf[1], Emmanuel Godo scrute l’arrière-fond théologique de ce grand mage du nihilisme qui a lu les Pères. Emmanuel Godo aussi, les a lus, il se fait ici lecteur d’Evagre le Pontique, en dialogue de rue avec le Mage des particules. Le résultat est étonnant, à la fois hyper post moderne et préhistorique. La rue se transforme en grotte de Lascaux. Un peu touffu, le faux roman de Godo n’en reste pas moins pertinent, il a choisi la bonne fenêtre pour éclairer notre monde, les démons qui l’agitent, les anges qui l’accompagnent. Cela fait beaucoup de monde. Il faudra sûrement aller au ravitaillement. Emmnanuel Godo ne paraît pas d’humeur à s’y dérober.

 

[1] Emmanuel Godo, Conversation avenue de France, Paris 13eme, entre Michel Houellebecq écrivain et Evagre le Pontique , moine du désert, roman, Éd. du Cerf, 141 p.,15 euros.

 

 
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