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Il lisait ses livres comme d’autres le narguilé. Raphaël Sorin, qui vient de mourir à 78 ans, était un fabuleux lecteur au sens où il faut entendre le mot « fabuleux » dans les Mille et une nuit. Sans bouger, aux aguets comme un chat, toujours dans un demi-sourire de complicité avec les puissances occultes du langage. Le surréalisme, cette école de la dérive des sens, n’avait aucun secret pour lui. Il connaissait son époque littéraire par cœur, il se faisait un plaisir de vous le faire savoir, c’était agaçant et systématiquement pardonnable. Il était en lien de cousinage avec Elias Canetti. Souvenir de passage : Sorin parlant des affaires sentimentales de Franz Kafka. Il connaissait le dossier comme personne. Notamment, concernant les velléités de fiançailles de l’auteur du Procès avec Felice Bauer dont Canetti avait fourni l’analyse dans un court essai éblouissant, L’Autre procès. On en parlait souvent avec Sorin, car sinon parler de quoi ?
On sentait qu’il avait à cœur de montrer ces endroits discrets d’un texte où se cache le sens. Il avait fréquenté le séminaire de Barthes vers 1964 avant de se lancer dans la grande aventure libertaire des années post 68. Une aventure éditoriale aussi bien, avec « Champ libre » dans l’ombre du ténébreux Gérard Lebovici. Il aurait aimé ménager un chemin qui eût pu échapper à la mode d’un certain maoïsme ambiant du temps d’alors, tout cela aujourd’hui évanoui, dont il reste si peu de littérature.
Mais vient alors l’heure de gloire. Sorin se réveille une nuit de lecture des Particules élémentaires, persuadé qu’il tient là un sacré morceau. Et de fait, Houellebecq renverse la table d’un paysage littéraire complètement désarçonné par une toute autre approche du nouveau nihilisme contemporain. Sorin biche, il a finalement eu ce qu’il cherchait, une sorte de bombe métaphysique qui se moque des anciens poncifs d’un avant-garde à l’agonie.
Depuis, Houellebecq a poursuivi sa route, il est à la fois trop tard et trop tôt pour évaluer les enjeux de cette histoire dont Raphaël Sorin a été l’un des principaux protagonistes éditoriaux. « Ring » aura été sa dernière aventure d’éditeur, Il tenait un blog dans Libération, il fouinait, chinait, comme un insatiable amateur de « bon bouquin ». Puisse se trouver dans les sphères sublimes, une échoppe pour fumer le narguilé.
Michel Crépu