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Vous avez sûrement entendu parler de Henry Adams, l’auteur de ce livre extraordinaire L’éducation de Henry Adams que vous allez emmener avec vous pendant les vacances. L’auteur y raconte tout bonnement son existence au cœur d’une famille américaine mythique. L’Imprimerie Nationale en a donné une superbe édition en 2007 (année du centenaire de sa mort), avec une préface non moins superbe de Pierre-Yves Petillon, l’homme qui connaît le mieux au monde la littérature américaine. Son père avait été ambassadeur de Lincoln à Londres, lui-même avait eu deux ancêtres président des États Unis, John Adams et John Quincy Adams. On se perd dans cette tribu qui a imprimé sa marque tout au long de l’histoire politique des USA. Les parents de notre Henry étaient de la bourgeoisie de Boston, ce qui n’a rien à voir avec la notion de bourgeoisie que nous pratiquons ici. Chez les Adams, on n’en rajoutait pas, on ne se montrait pas avec ostentation aux autres, on se retirait dans le salon bibliothèque les soirs d’hiver et l’on toussotait un peu dans le grand silence bostonien. Qui a dit déjà « je tousse donc je suis » ? Henry eût pu le dire et nous aurions écrit dans notre journal intime : « Ce soir, dîner chez les Adams, puis causerie au coin du feu. Henry a toussoté. » Il faut aller voir le journal d’Amiel, à Genève, pour trouver un équivalent dans le néo cafardeux évangélique.
Mais à la différence du déprimé helvétique, Henry Adams avait le cœur léger, il ne faisait une montagne de rien. La nature, les grands arbres du Massachusetts apportaient le grand air dans les petites rues de Boston. Il faut quand même voir que Henry étudiait à Harvard, et que le président de cette noble institution lui demanda un jour s’il voulait bien prendre en charge les études médiévales. « Mais je n’y connais rien ! » s’était écrié Henry dans le bureau présidentiel. Le président ne voulut rien savoir. Il lui suffisait que Henry fût rentré d’un voyage en Europe comme on le faisait alors dans les romans de Henry James (un ami de la famille). Il n’y avait que les Américains de ce temps-là pour être fascinés par la chose intellectuelle. Henry raconte avec infiniment d’humour son arrivée à Londres, puis son séjour à Berlin. Londres est noir de suie comme un roman de Dickens, Berlin sent la pomme de terre, mais il y a la musique. Toujours économe de sensations, Henry fait son petit « grand tour » avant de rentrer sagement à la maison. Plus tard, il se mariera avec Marian Hooper, fille d’un médecin à la retraite. Ils partiront ensemble en croisière sur le Nil à bord du Siberia. La notice de l’édition Imprimerie Nationale précise que Henry avait réservé « deux cabines de pont, avec des hublots et tout le luxe qu’un sybarite efféminé pourrait désirer. » À bord, se trouvait également l’immense Ralph Waldo Emerson qui ne se sentait pas bien. Il avait presque soixante-dix ans, il voulait descendre. Il finira par prendre le train.
C’était un peu une manie, chez les Adams, de devenir président des États-Unis. Son père Charles se tâtait, on était en 1872. Son fils écrit alors à l’un de ses amis : « Ma fiancée, comme la plupart des femmes est désespérément ambitieuse et veut être la belle-fille d’un président plus que moi je ne veux être le fils. De sorte que nous sommes dans une situation assez chaotique. » Même un Anglais n’oserait pas écrire cela. La lecture de L’éducation de Henry Adams en 2018, les choses étant ce qu’elles sont outre Atlantique, a quelque chose de délicieusement surréaliste. Il serait de la plus grande urgence de faciliter les voies d’accès à ce chef d’œuvre autobiographique. L’ouvrage est admirablement traduit par Régis Michaud et Franck L. Schoell, tous deux disparus. Michaud est resté comme un fin connaisseur de la même littérature américaine. Il écrivit un portrait d’Emerson qui gagnerait aussi à être réédité. En attendant ce beau jour, allez à la plage avec Henry. Sinon quoi d’autre ? Le chaos, ma chère.
Michel Crépu