L'homme qui avait rendez-vous

| Publié le : 15/09/2016

Soit vous vous passionnez pour ce qui est en train de se passer aux USA, soit vous y tournez le dos et vous plongez dans le formidable premier roman d’Emmanuel Villin : Sporting club[1]. L’hypothèse américaine est très excitante, car il se pourrait que la story change de camp, ou de nature. Non plus la merveilleuse ascension d’Hillary Clinton, première femme à entrer à la Maison Blanche as présidente, mais sa chute aux enfers face à une brute milliardaire qui a pour lui le bagou, l’absence de surmoi et par conséquent les faveurs du public. À l’heure de ces lignes, il est trop tôt pour décider de la balance. Qui va en décider ? Une toux insistante ou bien la sortie sur les électeurs « pitoyables » de Donald Trump ? Ce qui menace le plus Hillary, ce n’est pas la pneumonie mais le mépris dont elle a fait preuve à l’égard d’une partie des électeurs « trumpistes ».

On dira qu’il est très possible de se passionner à la fois pour le changement américain de story et la lecture de Sporting club. Nous avons là une forme de ying yang quasi parfait où la maîtrise des affaires du monde croise l’inanité d’une société qui a déjà vécu l’apocalypse. D’un côté les affaires de la cité, comme un dialogue de Platon bourré de Coca-Cola, de l’autre le chaos, l’argent absurde, le soleil donnant sur des appartements sublimes et vides. Où est l’histoire ? Qu’est-ce qui est le plus important ? Le narrateur de Sporting club fait penser à ces derniers anachorètes de casino après que tout le monde a quitté les lieux. Il n’a plus aucune raison de rester dans cette ville imaginaire où chacun pourra loger la sienne propre. Ce ne sont pas les noms qui manquent. Plus aucune raison sinon un rendez-vous avec Camille. Mais qui est Camille ? On dirait un trafiquant d’opium, cruel, cultivé, jouant du piano à l’occasion, en sachant toujours une de plus que vous sur la situation.

Le rendez-vous avec Camille pourrait donner lieu à un projet, des entretiens, on ne sait pas au juste et l’on n’en saura pas plus. Le narrateur l’a compris, il l’accepte en tout cas. Villin a dû lire Le désert des tartares dans sa jeunesse. Il a dû rêver longtemps sur ces désastres bibliques qui montrent d’anciens dignitaires écroulés dans la pierrerie et les coussins. Ajoutons-y (notre imagination ne chôme pas pendant ce temps) un ou deux éléphants errant dans les ténèbres du casino et l’on peut se faire une idée de l’ambiance. Quand l’histoire a déserté la place, il ne reste plus rien à faire qu’à regarder devant soi scintiller la mer et puis c’est tout. Villin ne se départit pas d’un laconisme du « jour d’après » quand tout a eu lieu, avec ou sans Camille, quelle importance. Il voit et fait voir des choses inédites, c’est très troublant. Tout cela est mené avec justesse et laisse un goût étrange de fin du monde. Il est peu probable que Donald Trump lise un jour Sporting club. Mais qui sait ? Le destin se chargera peut-être de lui mettre entre les mains. La story a encore quelques chapitres devant elle.

 

[1] Éditions Asphalte, 130 p., 15 euros.

 

 
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