Il n y a plus de valet de chambre

| Publié le : 20/08/2015

C'est Bainville qui disait : « tout s'est toujours très mal passé ». On lit cela dans le second volume de la Correspondance Chardonne-Morand dont il a déjà été question ici. Il a fallu faire venir les pompiers pour nous arracher les dix doigts du volume colossal. Ce sont les charmes de l'égoïsme du troisième âge, le délice du « après nous le Déluge ». C'est que les temps sont durs, même à ces hobereaux de la littérature. Morand à la fenêtre : « Il n'y a plus de valet de chambre. » Il pleut sur le jardin, Bainville avait raison. Reste à savoir si les « jeunes » ont quelque chose à faire de telles observations. On est toujours le jeune de quelqu'un, cela dit. Même Chardonne a été jeune.

Il ne faudrait pourtant pas nous pousser beaucoup pour jeter un pont entre l'historien vieille France et les récits de Stephen King qui n'a sûrement jamais entendu parler de Jacques Bainville. Ni même peut-être Delphine de Vigan qui publie ces jours-ci : D'après une histoire vraie (Lattès). On se souvient du triomphe précédent : Rien ne s'oppose à la nuit, évocation de la mort d'une mère engloutie par Alzheimer, qui donnait encore raison à M. Bainville. Cette fois, l'auteur a choisi la scène d'une fantasmagorie à deux têtes. D'un côté l'auteur, qui n'a pas seulement des lecteurs mais un public ; de l'autre l'incarnation d'un surmoi démoniaque, n' ayant de cesse de harceler sa victime, en lui rappelant sa mission : fournir du Vrai à la populace affamée. Combat de catch.

La peste soit de cette époque engloutie elle aussi (du moins le croyons nous) où les livres s'ouvraient comme une porte sur le « il était une fois ». Que viens-tu nous parler de « il était une fois » crie quelqu'un dans la salle. Nous voulons du Vrai ! Il dit cela comme il réclamerait du pain. On a entendu la réclamation. La manière dont Delphine de Vigan met en scène cette empoignade à la façon d'un récit de possession montre qu'elle a fait son miel de son expérience d'auteur à succès. Le surmoi démoniaque, dans son livre, a pris la forme d'une certaine « L », dame élégante, veuve, folle à lier, tenant à la fois de la sorcière de Blanche-Neige et d'une paranoïaque sous anti-dépresseurs. La dame élégante, « nègre » à ses heures, prend peu à peu ses quartiers un peu comme on finit par se servir soi-même dans le frigidaire avant d'ouvrir le courrier qui n'est pas à notre nom. Delphine de Vigan nous conte cela comme si cela lui était réellement arrivé : et tel est bien le but, faire vaciller la frontière. La fantasmagorie prend ici l'allure d'une déposition sur le divan et que nous importe au final, que ce soit « du lard ou du cochon ». Le contrat n'est-il pas rempli ?

Ce pourrait être aussi bien un combat au judo, où l'auteur se débrouille pour retourner l'injonction de fournir en Vrai la populace à son avantage. Voulez-vous du Vrai ? Eh bien en voilà. Du Vrai à n'y pas croire : c'est dame fiction qui sera contente. Quant à nous, nous aurons passé un bon moment, et offert notre exemplaire au capitaine des pompiers. Et puis enfin, c'est vrai : il n'y a plus de valet de chambre.

Michel Crépu

 

Commentaires

Paul-Jean | 21 août 2015
Lorsque je lis « Surmoi démoniaque », je pense à « Je est un autre », bien que cela n'ait aucun rapport, si ce n'est que je me perds un peu dans ces notion de « Ça », « moi », « surmoi »…

Alex Caire | 20 août 2015
Concernant les valets, cher ami, vous auriez, là où je vis, dans la vallée des valets , l'embarras du choix (sauf que personne ici – ou presque – ne parle le français). Ici la servilité aux touristes anglais (souvent beuglards et beurrés) est promue au rang d'art ... mineur et côtoie voire contraste avec la rudesse naturelle des autochtones et leur absence ahurissante de culture (à part les grossières manifestations folkloriques destinées à nourrir et a saouler les touristes susmentionnés ou les foules de passage, pour être poli). Il y aurait de quoi inviter Mme de Vigan à venir explorer d'autres côtes, plus accueillantes que celles qu'elle connaît, mais plus vertigineuses voire déconcertantes également !

 
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