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On ouvre, on lit dans La Gazette Drouot qu’un portrait du père de Louis XVI a été mis en vente le 10 juin dernier chez Mercier et Cie, Commissaires priseurs associés. Le portrait a été exécuté en 1766 par le peintre Jean-Marchal Fredou : Portrait de Monseigneur le Dauphin, fils de Louis XV, père de Louis XVI. Et voilà comment on peint l’histoire. Monseigneur le Dauphin nous dévisage de l’autre côté de l’aquarium, il est loin, très loin, un très vague sourire éclaire son visage bien rasé de gentilhomme, au brassard de soie bleue. À noter encore le jabot, les cheveux frisés au fer. Voilà un visage qui ne cherche pas à s’imposer, il veut bien nous considérer, des profondeurs du passé. Il y a de la gentillesse dans ce visage, ou plutôt une imperceptible douceur. Ce visage doux ne sait pas encore qu’il va être broyé d’ici une petite vingtaine d’années. Personne n’en sait rien. Lui en tout cas regarde l’abîme du temps sans avoir le moins du monde conscience de ce qui arrive.
Le Dauphin n’a rien de spécial. Croisé dans la foule des salons de Versailles, on ne se retourne pas sur lui, il ressemble à tant d’autres qui ont fini la course accrochés à quelque cintre du Louvre. Il fait penser à Saint-Simon évoquant Fénelon dans les Mémoires : « Je n’ai jamais connu monsieur de Cambrai que de visage. » La connaissance d’autrui s’arrête devant le corps : aller plus loin, c’est sortir son grand couteau, passer à autre chose, à la dissection. Mais là, avec le père de Louis XVI, on a au contraire besoin d’une infinie douceur pour se poser sur la surface comme le petit rover actuellement en mission sur la planète Mars. Oui, c’est cela : Monseigneur le Dauphin est une planète à lui tout seul. On aimerait lui donner des nouvelles mais cela s’avère difficile. Un voile mystérieux s’interpose. Peut-être, ce gentilhomme se doute-t-il obscurément de quelque chose. Pourquoi non ?
D’ailleurs s’occupe-t-il de son fils ? Imaginons un instant cela : Louis XVI bébé. Les bébés n’étaient pas à la noce, dans ce monde-là. Un jour l’ancien bébé montera une à une les marches de bois qui mènent à l’échafaud. Des milliers de Parisiens l’observeront se prêter aux derniers apprêts. Le père était-il encore vivant à ce moment là ? Nous l’allons vérifier. Un effet de sidération se fait sentir, tandis que nous essayons de passer à autre chose, mais sans y parvenir. Qu’est-ce qui nous retient à ce point ? La distance, l’abîme de jours qui nous séparent de cet homme ? L’énigme de l’histoire, l’enchaînement des événements. Aujourd’hui, ce tableau qu’on regarde presque comme une lithographie de Warhol ? Monseigneur le Dauphin n’est pas entré dans l’histoire parce qu’il y était déjà, de toute façon. Son fils, lui, a fait une entrée fracassante. Au fait qui a bien peint Louis XVI ? Largillière a peint admirablement les femmes, comme « la belle Strasbourgeoise », en 1703. On aimerait un Louis XVI aussi doucement élégant, peint par Nicolas Largillière. Un visage pour remonter à travers le Temps.
Michel Crépu