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C’était quand déjà ? Vous vous souvenez, cette époque où l’on courait après l’autobus, hélait un taxi, téléphonait de son vélo pour suivre le cours de la Bourse ! Parfois, au sortir d’une situation un peu vive, on décidait de débrayer, les puissants allaient voir ce qu’ils allaient voir. C’était encore le temps où faire la grève relevait d’une dramatique sociale et politique qui sentait encore le grand soir. Et puis les choses ont fini par s’étioler et se durcir en même temps. Tantôt, on voyait monter la radicalité, tantôt on se ramollissait jusqu’aux ténèbres de la dépression. On disait alors que l’homme du XXIe siècle ne se connaissait plus lui-même sauf par spasmes irréguliers, derniers signaux de vie avant l’écroulement final, un effondrement plutôt. La grève, à cet égard, conservait encore un rien de dignité. Elle faisait lien avec la grande histoire, malgré tout. Les rue de Paris sentent cette odeur de politique qui n’existe qu’à Paris. Penchez vous, sentez le macadam londonien, il sent le biscuit et la cigarette blonde, qui n’en finit pas de se perdre dans les rues. Nous autres jacobins voulons marquer les choses, nous ne voulons pas d’une idée de soi mal boutonnée, comme la veste de Mr Johnson.
Mais tout cela, on le sent, c’est le cas de le dire, est en train de glisser doucement vers le néant. Au bout de trente jours de grève, on ne sent plus rien. On se lève le matin, hébété, prêt à faire 20 kilomètres à pied pour attraper un quelconque voiturage. Eh bien quoi ? La capacité de passivité de la population est faramineuse. Mais cela ne dit pas tout. On aura vu des grappes d’êtres humains s’écraser la face pour mordre à un bout de la RATP, ce n’était ni de la passivité ni de la fureur, c’était encore autre chose qui n’a pas de nom. Un désir de bien faire quand même : pas de tricherie pas de choses de ce genre, une volonté de ne pas céder sur le dernier carré. Finalement, cela est plus compliqué qu’il n’en a l’air. Du haut de son balcon, notre blogueur considère la populace, celle là même dont Voltaire disait qu’il ne fallait pas lui faire confiance. Voltaire pouvait bien dire, il allait en vélo, on le voyait passer le long du quai qui porte désormais son nom.
Quoiqu’il en soit, il est tout à fait possible de considérer que nous pourrions nous en tenir là, rester ainsi dans la tension, la table ronde, la réunion de la dernière chance. Cela finira par générer une sorte de nouveau tissu social, produisant lui mêmes ses crises, ses plus jamais ça. La culture du compromis, dont on dit qu’elle manque cruellement à notre vie politique est pourtant en passe de triompher. Nous allons nous éterniser dans l’ivresse molle du statu quo. Peu à peu, les autobus vont se ramollir comme les montres de Dali, ils vont rester là, en mémoire de la ligne 14, qui marchait si bien. On les racontera aux enfants, comme une guerre qui n’a pas eu lieu.
Michel Crépu