Et Marcel Arland, au fait ?

| Publié le : 01/10/2015

Parlons un peu de Marcel Arland. Ce ne sera pas du luxe étant donné sa situation posthume, tout simplement calamiteuse. Son nom est régulièrement associé à celui de Jean Paulhan, quand tous deux dirigeaient la NRF. Arland codirecteur à partir de 1953, puis tout seul de 68 à 77, on le voit sur les photos, petit à lunette, peu souriant, consubstantiel à la matière littéraire. En forçant un peu la note et selon certains éclairages, il fait parfois curieusement penser à Andy Warhol. On note cela pour le plaisir de rompre aves les clichés. Mais le fait est que Paulhan s'en tire mieux au plan du posthume. Essayez un peu de parler d'Arland dans un dîner en ville : ce ne sont que quolibets, anecdotes à son désavantage, révélation pénible surtout, que personne ne l'a lu. À côté, avec sa tête de vieux chinois strictement non sentimental, Paulhan récolte en silence la monnaie d'une admiration à son endroit qui ne faiblit pas. Méritée ô combien, inutile de le dire.

Tout cela n'empêche pas de lire Arland. Une montagne de nouvelles, des essais critiques (pêle-mêle, Marivaux, Pascal et ces délicieuses chroniques de galeries de peinture publiées autrefois chez Corrêa), une anthologie de poésie et puis quoi encore ? Ah si, un énorme roman au titre mystérieux : L'Ordre, qui lui valut le prix Goncourt en 1929. Une année spéciale, 1929. L'année avertisseuse, on ne pourra pas dire qu'on n'a pas été prévenu. L'Ordre nous en offre une illustration tout à fait stupéfiante dans sa mise en scène, subtile, rigoureuse, fascinante. Deux frères , Justin et Gilbert, Justin ambitieux ministre, Gilbert « anar » tête brûlée se déchirent la même femme, Renée. Qui nous dira aujourd'hui le charme exquis de ce prénom  : « Renée » ? Aller plus loin dans le résumé grossier serait malvenu. Mais comment ne pas ne pas attirer l'attention sur cet admirable livre, entièrement fermé sur son secret – comme le sont du reste tous les livres d'Arland. Nous sommes penchés sur le livre comme le personnage à sa fenêtre : « Le soir était calme. Au bas du jardin brûlaient des rameaux d'asperge desséchés ». Cela n'a l'air de rien et c'est merveilleux : le jardin, les flammes, les rameaux d'asperge, le soir calme – et l'on pourrait en citer beaucoup d'autres. Même Chardonne, maître incontesté du moment lumineux semble un bouseux à côté d'une telle douceur.

C'est peut-être ce qui coûte aujourd'hui si cher à Arland, d'avoir su écrire les ténèbres de l'intimité humaine sans se départir du calme où les choses se déposent en profondeur. On réclame aujourd'hui du message à corps et à cri. Chez Arland, musique, finesse, art consommé de faire monter la tension jusqu'au terme ultime où les choses se redéchirent à nouveau selon la vieille loi humaine. Arland n'a pas été du tout un personnage de premier rang du « débat d'idées ». Pas un héros, pas non plus un salaud. Le petit campagnard de Langres aux automnes lents et sombres aura traversé son temps comme il rentrait chez lui de la NRF, en pensant à autre chose. Pourtant, L'Ordre est certainement l'une des plus fines intelligences du vertige de l'entre-deux guerres qui soient. Cela peut avoir son utilité par les temps qui courent. L'exemplaire de l'édition 1985 en « blanche » ne comporte pas de « quatrième de couverture ». Seul le mot Ordre figure comme un poème en soi. Ouvrez le.

Michel Crépu

 

commentaires

Saint-Mars | 2 octobre 2015
Il y a quelques années, lors d'une soirée un professeur d'université en littérature, collaborateur d'une revue me demande : « ...et vous, quels auteurs français ?... » sans respiration, de répondre : « Arland... » lui : (silence) « ah bon ! (re-silence) »... voilà l'accueil reçu et qui m'a troublé, je dois le dire... alors je suis réconforté en vous lisant, je ne suis pas seul ! parce que, à cette occasion je me suis demandé si ce professeur avait lu Arland ou bien si j'étais vraiment de ce monde ! Être au fait avec Arland, oui, lorsqu'on peut se laisser prendre par la finesse, la douceur de ses mots. Pas de dégoulinades sociologiques. Les sens convoqués dans leur brièveté. C'est Beckett qui disait à propos du vol d'une mouche dans une pièce : « tiens il s'est passé quelque chose »... avec Arland, c'est un peu ça ! Trouvez-nous quelques feuilles ou autres inédites de ce Marcel, pour la NRF... P.S. : cf. votre blog précédent. Oui à « Djibouti », à lire , en effet !

Lorgnon mélancolique | 2 octobre 2015
Dieu qu'il est bienvenu « désensabler » les oubliés ! Et surtout Marcel Arland « notoirement méconnu » de l'actuel public dit cultivé. J'ai relu récemment l'exquis « Terre natale » (1938) et le terriblement désenchanté « Où le cœur se partage » (1929). Du nanan !
http://lorgnonmelancolique.blog.lemonde.fr/2009/10/04/vous-avez-repasse/
http://lorgnonmelancolique.blog.lemonde.fr/2013/09/02/lamour/
Cher Michel Crépu, continuez à nous enchanter avec le fonds de la maison, vous siégez sur une mine aurifère !

Liévin | 6 octobre 2015
Il est bon de parler de Marcel Arland à l'aube du 30e anniversaire de sa disparition. Pourquoi un tel silence autour de lui ? Dans les années qui ont suivi son décès en 1986, nous fumes un certain nombre parmi ceux qui l'avaient connu à vouloir faire vivre sa mémoire à travers colloques et expositions... Il n'est pas normal que son roman L'Ordre ne soit pas en livre de poche, que ses magnifiques recueils de nouvelles ne soient pas réédités... Bravo donc à M. Michel Crépu pour ce signe qui nous l'espérons sera suivi d'autres...

Michel Crépu | 7 octobre 2015
Merci pour ces messages, je vais m'employer à remonter la pente ! merci de vos encouragements ! À suivre !!

 
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