Et donc, Blanchot

| Publié le : 22/06/2017

Les séminaristes de la congrégation « En Marche » vont faire une retraite spirituelle le weekend prochain. Le thème en sera : « Comment s’ouvrir aux autres ? » La retraite sera prêchée par l’abbé Philippe, premier ministre, ascète et boxeur réputé. Les joyeux séminaristes sont des tourterelles un peu éblouies par la nouvelle gloire. Les vieux grognards du Parlement, les anciens de la retraite de Russie, ceux dont on entend la canne sonner dans les couloirs de l’Assemblée, les considèrent d’un œil goguenard. Les tourterelles s’étonnent de tout. Bientôt, on aura envie de leur jeter des chaises à la figure, tant ce casting est exaspérant à force de compétence. Qu’on aille nous chercher un bon gros nul cabossé qui sait tout ! Ils ont tous des prénoms bac + 5, c’est affreux. Même M. de Pourceaugnac-Bayrou, qui ne manque pas de cuir, n’a pas été capable de remplir ce rôle d’ancien qu’il aurait pu jouer auprès de nos jeunes. Il a voulu faire son intéressant et le pied lui a glissé dans le pot de miel. Quel ballot.

On ne sait si l’abbé Philippe fera lecture du traité de la patience par Tertullien (juste paru aux Belles Lettres) qui vaut le détour. Nous ne saurions trop lui recommander le volume des « Cahiers de la NRF » qui vient de paraître chez Gallimard: Maurice Blanchot, chroniques politiques des années trente 1931-1940. C’est la décennie capitale, celle sur laquelle nous serons tous jugés au grand jour. Chers frères et sœurs, relisons donc ce qu’écrivait Maurice Blanchot le 15 mai 1933 dans les colonnes du Rempart, journal aujourd’hui disparu, au sujet d’Édouard Daladier, fameux signataire (en septembre 1938) des accords de Munich : «  M. Daladier se débat parmi les contradictions et montre, par son embarras, qu’il sait ce qui est nécessaire, mais qu’il ne peut pas vouloir ce qu’il faut. »

Comme tout cela est bien dit, l’air de rien. On dirait du cardinal de Retz mâtiné de Raymond Aron. C’est curieux pour un écrivain tel que Blanchot, dont on souligne régulièrement à voix basse ses démêlés, plus tard, avec le corpus extrême droitier. Ce qui frappe pourtant, à la lecture de ces articles, c’est un mélange d’élégance et d’ironie. Surtout, une absence d’imprécation (comme nous sommes loin d’un Bernanos, d’un Lucien Daudet) qui tranche sur le registre habituel en pareil cas. Blanchot, quasi british, a très bien compris que la France se trouvait prise, depuis la fin de la Grande Guerre, dans la nasse d’une crise spirituelle sans précédent. Ce constat mérite donc du doigté, beaucoup d’intelligence, et surtout pas d’énervement. Calme Blanchot, il sonde profond.

Il écrit encore, toujours dans Le Rempart, septembre 33 : « Le pays a longtemps cru à l’habileté et à l’importance des dirigeants. Il a subi le prestige des pouvoirs constitués. Les mots d’État et de gouvernement avaient pour lui un sens et lui inspiraient du respect. Ayant cru faire une révolution pour se rendre libre, il n’en suivait que plus docilement une autorité qu’il avait consacrée. On a rarement vu un peuple plus soucieux des apparences de la légalité, plus indifférent à l’exercice du pouvoir. Il a fallu les excès inouïs du régime et surtout sa prodigalité ruineuse pour que la nation s’inquiète. Mais c’est un autre fait aujourd’hui que l’opinion s’éveille et hésite devant les nouveaux désastres qui se préparent. »

Cette question de l’« hésitation » nous semble au cœur de l’affaire, y compris pour les événements que nous vivons et l’abbé Philippe ne manquera pas de la souligner, lui qui pratique l’uppercut en direct. Il faut absolument lire ces chroniques en pensant très fort à la période au cours de laquelle elles furent écrites. Quelle acuité ! Quel à-propos ! Comme tout cela peut nous rendre service à presque un siècle de distance ! Et l’Angelot Souverain qui a quasiment disparu des radars médiatiques (à peine si on le voit descendre d’un avion au Maroc ou à Saint-Cricq-le-Popet) doit maintenant nous ménager une grande oraison, le jour du 14 juillet. Après tant de tourbillons, d’affaires et de claquages de portes, le pays aspire au défilé des zouaves. Les joyeux séminaristes d’En marche en seront enchantés.

 
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