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Comme la rue de Beaune, à Paris, renferme certains antiquaires dont on n’a pas idée, notre armoire à livres ressemble de plus en plus à un bahut ensorcelé. La main y plonge au hasard, elle en remonte ce bijou oublié des bibliographies, une histoire du château de Rambouillet par Georges Lenotre, ouvrage publié chez Calmann-Lévy en 1948 dans une charmante collection : « Châteaux, décors de l’histoire ». Lenotre est surtout connu pour être l’auteur de cette merveilleuse série « Vieilles maisons vieux papiers » dont Balzac aurait pu se servir s’il l’avait connu. Mais il est vrai que Balzac n’avait besoin de personne pour créer la pension Vauquer. Lenotre est le luthier de la grande histoire. Il écrit ses pages délicieuses d’anecdotes comme on pince des cordes pour faire entendre un certain secret que les historiens hyper-sérieux à la mode de M. Boucheron regardent avec mépris. On les plaint amèrement de ne pas tenir compte de ces menus détails de partitions sans lesquels on ne comprend pourtant rien à rien. Patrick Boucheron a naguère défrayé la chronique en postulant une conception de l’histoire de France résolument décentrée, sans doute dans la hantise d’échapper au reproche de néo-colonialisme qui pèse en permanence sur les consciences. D’ailleurs l’angelot étincelant, actuel locataire de l’Élysée, en avait tiré une leçon spectaculaire : « Il n’y a pas de culture française, il y a de la culture en France. » Imaginons une bassine (la France), contenant des amibes translucides, c’est la culture. Prière d’éloigner les enfants.
D’ailleurs, c’est bien simple, la NRF considère que l’histoire du château de Rambouillet par Georges Lenotre devrait figurer sur les listes de prix littéraires de la rentrée 2017. Celles qui viennent de tomber ressemblent à un palmarès étriqué du festival de Cannes pour amateurs idéologiquement secs. Qu’on ouvre les fenêtres que diable ! Lenotre raconte que le comte de Toulouse, dernier des enfants naturels de Louis XIV, conçu grâce aux bons soins de la marquise de Montespan, était un fan de Rambouillet. Il y mourut. Saint-Simon dessine dans ses Mémoires le curriculum vitae de cet homme peint par Rigaud, nommé amiral de France à cinq ans : « …très haut, très puissant et très excellent prince Louis-Alexandre de Bourbon, prince légitimé de France, duc de Penthièvre, de Châteauvillain et de Rambouillet, marquis d’Albert, commandeur des ordres du Roi, lieutenant général de ses armées, chevalier de la Toison d’or, gouverneur et lieutenant général pour sa Majesté dans sa province de Bretagne, pair, amiral et Grand Veneur de France… » Le « veneur » est celui qui accompagne la chasse à courre, menant les chiens, s’occupant d’eux toujours comme il faut. À Rambouillet, les bois alentours offraient au veneur de quoi passer la journée sans encombre. Le minutieux Lenotre précise qu’au XIIe siècle, les moines qui occupaient les lieux reliaient leurs psautiers en peaux de chevreuil ou de sanglier. Cela devait donner aux prières un fumet d’arrière-cuisine favorable au climat spirituel.
En réalité, Lenotre a sa place dans la bibliothèque entre le magique Mario Praz et le rusé Giorgio Manganelli, du côté des Italiens, par conséquent. Mettons des Italiens du Val de Loire, doux, éclairés, non pas érudits, mais simplement amateurs de belles connaissances. Il y a là des réseaux invisibles qui échappent même au quadrillage de Facebook. À nous lecteurs fortuits de les deviner. Les vieux miroirs jettent encore un peu de lumière dans les couloirs mystérieux de Rambouillet, on y devine parfois les visages de ceux qui vécurent là, jadis. À portée de main…