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Commençons l’année par relire un peu de Marcel Arland. Personne ne pense jamais à lui et quand cela arrive, un propos désobligeant ne tarde pas à moquer le côté ronchon triste de cet écrivain secret, douloureux, qui partagea avec Jean Paulhan la direction de la NRF de 1953 à 1977. Arland était né à Varenne sur Amance en 1899, près de Langres, où il fait très froid et où personne ne va jamais non plus se promener. Le concours des circonstances a fait que Marcel Arland devint l’ami proche, pour ne pas dire intime, d’André Malraux. Il l‘évoque dans l’un de ses derniers livres – Ce fut ainsi publié en 79[1]. Il est impossible d’imaginer, dans l’histoire des amitiés littéraires, oxymore plus stupéfiant que celui-là. On gagne à mieux connaître l’histoire de cette relation qui n’empêcha nullement Malraux de devenir Malraux et Arland, Arland. Si les choses avaient suivi un autre cours, Arland eût été du voyage en Indochine avec Clara et André, mais Marcel avait déjà enfilé l’habit de professeur et il tenait beaucoup à ne pas lâcher le fil de la vie intérieure dans un décor rural d’Auvergne rêveuse loin des tumultes révolutionnaires. Malraux pensait comme lui, ils étaient tous les deux épris de dignité, de noblesse, d’aventure. Arland cochait aux deux premières, il passait son tour pour l’aventure, du moins celle qui agitait énormément Malraux, trop agité (ridicule, la scène à l’opéra où il vient prévenir les Arland, en plein concert, que les communistes vont envahir Paris demain matin). Quand on lit les premiers récits d’Arland (Terres étrangères, Terre natale), on comprend tout de suite que l’auteur est un auteur du silence, de l’immobile attente qui fait monter une présence. Il n’y a que cela qui l’intéresse. Cela dit, rien là qui sonne à la manière d’une conversion spirituelle, Arland n’en demande pas tant. Ce qu’il cherche, ce sont des coins d’ombres dans une chambre solitaire, un passage bref de soleil sur la marche d’un puits, un instant rose de crépuscule devant la nuit, ce genre de choses qui pouvaient impatienter Malraux. Toutefois, ce dernier savait très bien que son ami avait les clés de l’essentiel, leur amitié ne fut jamais défaite par les secousses de l’auteur des Antimémoires. Dans Ce fut ainsi, Arland décrit très simplement leurs rendez-vous, sans se pousser pour qu’on le voie bien sur la photo. Et quand il se rend à l’Élysée où le général donne une réception pour le tout-Paris littéraire, Arland accepte de venir, mais en restant au fond. Dommage, il manque ici une photo qui en dirait long. C’est le temps du Malraux ministre, loin de la guerre et des expéditions orientales à la bricole moitié délinquante. Malraux n’était pas dupe de son cinéma, mais il ne pouvait résister à en faire. Il avait besoin d’action. Arland préférait aller se promener la nuit, dans les champs.
Dans Ce fut ainsi, Arland évoque aussi Drieu la Rochelle, toujours à cause de la NRF dont Drieu allait être le directeur pendant les années d’Occupation. Arland éprouve de la tendresse à son endroit. On connaît cette histoire triste qui finit mal et qui gagne aussi malgré tout à être mieux connue. On peut s’en donner l’occasion en lisant la colossale biographie de De Gaulle par Julian Jackson[2] qui vient de paraître. Est-ce une biographie gaulliste ? Il est certain que Mr Jackson, historien à la Universsity of London, tient à observer une distance de point de vue qui lui permet de jouer à la fois la carte de la grandeur et celle de la lucidité. On ne le prend pas en flagrant délit de justification. C’est un jeu de balance où De Gaulle apparaît d’un côté comme l’« homme du 18 juin » et de l’autre, comme le Machiavel de la guerre d’Algérie. Les deux ne font pas une paire, d’où la difficulté. Il y a aussi un De Gaulle qui ne relève ni du 18 juin, ni de Mai 68, ni de la décolonisation. Jackson laisse passer des rais de lumière sur le mépris qui pouvait animer le général à l’égard d’un peu tout le monde, ce qu’on savait déjà, mais se trouve ici documenté. Pas de surprises donc, mais un nettoyage complet. Si Mr Jackson a oublié un fait important, qu’il sache que c’est de sa faute. Il n’a pas de style, il a du contenu. Il n’est pas impossible d’avoir les deux, mais ce n’est pas le cas ici. Cela fait pourtant qu’on ne lâche pas l’ouvrage, en raison même de l’importance du dossier. Quelle impression, au final ? Celle d’une extrême solitude, qu’il partage avec sa fille Anne, trisomique. On connaît les dernières photos du voyage en Irlande, avec Yvonne : eh bien, cela a toujours été comme ça, la bêtise de la politique, la mer, le néant. On comprend que Mr Jackson ait eu l’idée de conclure par le sable irlandais, comme tous les biographes du général. Il eût pu aussi bien commencer par là, ce qui eût frappé les esprits. L’histoire de Charles de Gaulle est l’histoire d’un homme seul qui n’a personne à qui parler. Les différents logiciels idéologiques, de droite ou de gauche, ne font pas bien tourner la vis. Rien ne s’ajuste tout à fait, tantôt c’est un peu juste aux manches, tantôt cela lui tombe des basques. Le « visionnaire » est parfois myope, et l’inverse. « Avoir une certaine idée de la France » est une idée d’écrivain. Les militaires sont plus précis, en général.
[1] Paris, 1979 Gallimard.
[2] De Gaulle, une certaine idée de la France, Éditions du Seuil, 984 p., 27, 90 euros.