Céline Minart, la fille qui ne faisait pas comme les autres

| Publié le : 08/09/2016

La rentrée littéraire franchit son premier cap avec la publication des sélections : Goncourt, Renaudot, Wepler. Et bientôt les autres, Médicis, Femina, Décembre. C’est une année sans « locomotive », c'est-à-dire sans un Houellebecq ou un Littell pour déclencher l’entrée en librairie. Du coup, nous confie un libraire faisant les cent pas devant sa vitrine, « c’est plus mou ». Il faut faire sans locomotive. Ou alors en inventer une fausse, monter un bobard qui fasse du bruit. C’est une question posée aussi à la critique, régulièrement accusée d’endormir et d’ennuyer. Tout cela ne va pas sans les contradictions habituelles : par exemple, la critique snobe Karine Tuil qui a les faveurs du public. Qu’est-ce que ledit public attend de la critique ? De la vérité, de l’enthousiasme, de l’envie de se jeter dans le livre dont on vient de parler, toutes affaires cessantes. Il est possible aussi que le public n’attende plus rien du tout de la critique. Trop de mensonges, trop de biais inavoués, trop de trahisons intimes qui assèchent, stérilisent. Le goût battu en brèche par l’idéologie. La misère de l’ennui au lieu du plaisir.

Répondons d’abord qu’il n’y a pas « les livres ». Il y a seulement ce livre-ci, ou ce livre-là. Voyons par exemple, chez Rivages, l’étonnant roman de Céline Minart, Le grand jeu, oublié des listes pour le moment. Que l’on veuille bien se figurer une narratrice juchée à la verticale d’une paroi de montagne, genre Anapurna en hiver, sans grand-chose à se mettre sous la dent. Qu’est-ce qu’un être humain « donne » dans ces conditions ? Curieusement, on a l’impression de retrouver les huis clos de Beckett, quand un quelconque Malone s’échine, sur trois mètres carrés, à déplacer un obscur objet. On sent que Céline Minart ne tient pas les mondanités dans une haute estime, ce qui est son droit. Mais l’important n’est pas là. Il est dans ce récit d’une construction de langage où la narratrice, en nous contant ses difficultés de gamelle et de piton, raconte en même temps la naissance d’un livre. Ce manuel de survie est aussi un acte de naissance littéraire. On peut trouver cela trop dur, et réclamer plus de distraction. La distraction, en littérature, n’est pas un péché. On a écrit des chefs-d’œuvres dans le seul but de se distraire. La moitié, au moins, de Mozart, est faite pour distraire. Cela peut faire réfléchir. On ne sait pas encore si Céline Minart va devenir un Mozart du Vieux Campeur, mais on peut être sûr de ce qu’elle veut et surtout de ce qu’elle ne veut pas. L’âpre rudesse plutôt que l’échouage de soi dans le doux canapé des facilités. L’herbe amère et sauvage plutôt que le chamallow. Il n’y a pas grand monde sur ce créneau, à 4 000 mètres d’altitude. C’est là que Céline Minart a installé son campement. La vue est superbe.

Michel Crépu

 
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