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Michel Butor, qui vient de mourir, ferme le ban du Nouveau Roman. Les campus américains où il continue d’être fiévreusement étudié sont en deuil. À vrai dire, l’épopée du Nouveau Roman est close depuis longtemps, si elle a jamais existé ailleurs que dans les colloques organisés par la New York University de Tom Bishop. Quoi de commun, si l’on reprend la célèbre photo devant les éditions de Minuit, entre Beckett et Claude Simon, Butor et Robbe -Grillet ? Il fallait bien qu’il y eût quelque chose, sinon pour quoi un tel attroupement ?
Insistons un instant sur le caractère extraordinairement français de ce phénomène littéraire sans équivalent. Cela peut se comprendre ; quand on a été élevé à la balzacienne, à la hugolienne, à la dumasienne, on peut légitimement éprouver le besoin d’en rester à la description du cageot que raillait Mauriac. Butor, c’est encore autre chose. La modification, livre culte, est resté debout, malgré les modes successives, comme un bon Godard. D’un classicisme qu’on croirait venu d’un Benjamin Constant séduit pas la vitesse soft du TGV. C’est bien sûr là, dans cet alliage d’une rare élégance entre la nudité moderne et la ligne de concision classique que Butor a lancé son affaire. Un homme de goût, totalement indifférent à l’idée d’avant-garde. De son temps, tout simplement.
Souvenir d’un dîner avec lui, rue de la Gaîté, dans le désert parisien d’août 81. Il écrivait sur des bouts de cartes postales dont les bouts étaient scotchés de bleu et de rouge, il arborait une veste de velours sans manches, constellée de crayons de couleur. Barbu comme un saint Nicolas, au regard malicieux, le même regard que sur la photo période Modification. Nous avions parlé de Pollock et des étalages de supermarchés qui font penser à des tableaux de Mondrian. Le magneto tournait sur la table. L’échange de ce soir-là figure dans un des volumes des Œuvres complètes éditées aux éditions de La Différence. Butor a dû bien s’amuser, contrairement à d’autres. Il ne s’est pas forcé. C’est fort.
Les campus américains qui lisent toujours Butor forment le background du dernier roman de Catherine Cusset, L’autre qu’on adorait[1]. Voici l’histoire de Thomas, qui est mort parce qu’il n’arrivait pas à vivre. Des projets, des tentatives de projets universitaires, des filles avec qui on aimerait que ça marche, des lectures, des voyages, des bons moments, et puis finalement rien, la tête dans un sac plastique. Catherine Cusset remonte le film, séquence après séquence. Dans le vieux langage d’autrefois, on appelle cela un destin. Un rire de moins sur la terre, conclut la romancière, et c’est bien ainsi que l’on se figurait la notion de destin : une voix qu’on n’entend plus. La voix de Cusset, crue et juste, vient à point nommé relever les images de cet « autre qu’on adorait ». Faites donc sa connaissance.
[1] Gallimard, 2016, 291 p., 20 €.