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Peter Assouline, de loin le meilleur folk singer de notre actualité littéraire, est fâché du Nobel à Bob Dylan. Encore plus surprenante, la sortie d’Annie Ernaux, y voyant carrément une défaite de la littérature. Il y a pourtant un peu d’Amérique à la Calamity Jane dans la personne d’Annie Ernaux, un sens de la désolation sociale qui n’est pas étranger à la petite musique du trouvère d’Outre-Atlantique. Calamity Jane écrivit d’admirables lettres à sa fille[1], qu’on devrait relire plus souvent au lieu de s’offusquer d’une prétendue faute de goût du jury Nobel. Il nous paraissait pourtant bien établi que la littérature et la chanson ont en commun le plus précieux : la ritournelle, la petite ritournelle sans laquelle rien n’est possible, aucune histoire racontable. Tous les vrais lecteurs – Peter Assouline et la grande Annie en sont – savent cela : la littérature est ennemie de la pompe et la chanson est sa meilleure amie. Dylan est prix Nobel pour en avoir fourni, à sa manière, la démonstration.
En plus, il se trouve que Dylan est un génie. Par là, nous voulons dire qu’écrire une chanson est une chose ; y inscrire l’incarnation d’une époque en est une autre. Dylan n’aurait-il écrit que Blowin’ in the wind et Like a rolling stone, il aurait gagné son ticket d’entrée. Personne comme lui n’a personnifié l’essence des sixties en dehors d’Elvis Presley, pastiché par le même Dylan dans l’album Self portrait à un point féroce d’ironie. Lutte de géants, mais Elvis Presley n’était pas un auteur. Dylan si. La littérature américaine des années 50-60, celle qui passe principalement par la beat generation, est incompréhensible sans la présence de Dylan. La route, l’absence d’adresse, l’errance, le vague sommeil dans la voiture qui vous emmène nulle part, c’est déjà dans la Bible et cela rôde jusque dans les images merveilleuses du cinéma de Wenders, celles du film Paris Texas notamment, mais il y en a d’autres. Ne pas voir cela est confondant.
Il y a pourtant quelque chose d’évident, de clair, dans ce prix qui a suscité tout de même un regret légitime. On a dit : et Leonard Cohen ? Mais Dylan est un mythe, non Cohen. Très rares sont les mythes dans ce domaine où pullulent cependant les grandeurs. Dylan est même peut-être le seul. Il ne viendrait à l’idée de personne d’inviter Neil Young à Stockholm. Ni non plus Mick Jagger, encore que Satisfaction fasse jeu égal avec Like a rolling stone, c’est le cas de le dire. Mais il faudrait nobéliser les Stones au complet. Délicat. Mystère de cette génération 50-60 qui persiste aujourd’hui à tenir le haut du tableau. Il y a des talents par dizaines, mais pas d’héritier véritable. Cela fait pourtant plus d’un demi-siècle que nous avons quitté les sixties. Il n’y a aucune nostalgie à écrire cette évidence qui crève les yeux. Est-ce à dire que l’après Seconde Guerre mondiale a été l’humus nécessaire pour l’éclosion d’un mythe Dylan, symbole d’une jeunesse mélancolique et vagabonde, sans adresse ? No direction home, a titré Scorcese dans ce merveilleux film sur les débuts de Bob. En 2016, cela demeure incroyablement vrai.
Michel Crépu
Post-scriptum. Il paraît que Dylan est injoignable. Certains l’ont vu récemment à Las Vegas, lors d’un concert où il n’a pas chanté. Son agent assure qu’il lui a transmis la nouvelle. Depuis, silence. L’intéressé, tout à son mutisme de mythe immuable, n’a pas émis le moindre son de remerciement. La NRF compte sur le flair de Peter Assouline pour en savoir plus.
[1] Éditions Rivages Poche, traduction de marie Sully et Grégory Monro.