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Le président a parlé, hier soir, au dîner du Crif, et comme d’habitude, il a bien parlé, sans notes, sans rien. L’antisémitisme a été nommé ainsi qu’il convenait, y compris dans la variété de ses nouvelles figures. Les mots sont là, les munitions nécessaires pour tenir un siège de mille ans. Et dans mille ans, il faudra faire le point, car le problème n’aura toujours pas été totalement éradiqué. C’est la première leçon : plus jamais jamais plus. On sait que cette histoire fait partie de l’histoire humaine et il est, hélas, aussi impossible d’imaginer cette planète sans antisémitisme que de l’imaginer sans guerre à quelque endroit que l’on se trouve. De là le caractère à la fois nécessaire et discrètement désespéré des nouvelles mesures de l’arsenal juridique. Car comment aller plus loin ? Que peut-il en être d’une efficacité réellement efficace ? Il n’est pas vain de se poser la question en dépit d’un certain découragement devant l’ignominie des croix gammées du cimetière alsacien. Va-t-on organiser des rondes nocturnes pour dissuader d’éventuels nouveaux agresseurs, lesquels n’attendent que le moment où l’on aura le dos tourné ? Le découragement vient de ce que l’on a l’impression d’agiter un vieux tapis pour éteindre le feu. Cher vieux tapis qui a déjà tant servi !
Aller à la manif ? Bien sûr, une de plus. Le nombre a valeur de témoignage, mais après ? Et celui qui reste dans sa chambre à lire la Bible sans que personne ne soit au courant? Est-ce qu’il ne compte pas au nombre des fraternels ? Valery Larbaud répondait à des amis le pressant de descendre dans la rue, « j’aime mieux lire ». On peut trouver la réponse un peu courte, elle l’est, mais il serait dommage d’oublier ce qu’elle a aussi de précieux : l’accent mis sur la vie intérieure, celle qui ne s’éteint pas, même après la manif, quand tout le monde est fatigué. Le droit a parlé hier dans la bouche du président et l’on s’en réjouit. Demeure le plus important, transmis par les textes, l’héritage spirituel, la pratique du Livre. Cela ne se chiffre pas ni ne se comprend dans les enquêtes. Il n’empêche : ce sont les livres qui entraînent les transformations les plus profondes, les fameuses prises de conscience sans lesquelles rien n’est possible. Mettre quelqu’un en prison pour ce qu’il a commis de foncièrement intolérable est une bonne chose, favoriser le travail de la lumière spirituelle est encore mieux. Les deux, pas l’un sans l’autre. On se souvient encore de la façon dont Klaus Mann raconte dans sa bouleversante autobiographie, Le tournant, la montée en puissance du parti nazi avant-guerre. Klaus Mann, on le sait, a jeté toutes ses forces dans la bataille intellectuelle, artistique et l’on se souvient aussi de ces pages bouleversantes où il confie son désespoir à son journal, du fin fond d’une chambre d’hôtel new-yorkaise. Ces pages si solitaires comptent autant que les heures données au « collectif ». Elle restent limpides aujourd’hui, à l’heure du même combat.
Michel Crépu