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Eh oh les amis, et si on fêtait le tricentenaire de la mort de Fénelon ? Plutôt que de courir après des anniversaires foireux, la célébration du « cygne de Cambrai » aurait autrement de l'allure. Les toxicomanes du Grand Siècle, au premier rang desquels nous nous flattons d'appartenir, pourraient faire de ces trois cent ans matière à réjouissances. Il faut dire que 2015 est une année terriblement Grand Siècle, puisque Louis XIV pris congé des humains le 1er septembre de la même année. Automnal adieu. Fénelon meurt le 7 janvier, en plein hiver. On imagine un feu dans la cheminée du palais épiscopal, à Cambrai. L'auteur de Télémaque, best-seller durant tout le XVIIIe s'éteint doucement, l'air de rien, suprême d'élégance austère, nimbée d'une imperceptible insolence. Plus personne, aujourd'hui, n'a idée de cette querelle avec Bossuet, dite du « Pur amour ». Pour résumer au Stabilo, mettons que Fénelon tenait que l'on peut aimer sans arrière pensée, s'abandonner, trouver tout bien, quelles que soient les conditions. Bossuet tonnait le contraire. Il y avait une femme entre eux : Jeanne Guyon, dite « Madame Guyon », l'auteur oubliée des Torrents spirituels. Elle et Fénelon faisaient équipe dans cette extraordinaire défense du « pur amour ». Fénelon était plus discret, plus prudent ; Madame Guyon n'y allait pas par quatre chemins. Elle ne craignait pas d'écrire que si Dieu voulait qu'elle aille en enfer, eh bien elle était prête pour les flammes. De tels propos épouvantaient Bossuet : si l'on acceptait ne fût-ce que l'hypothèse d'une acceptation positive de l'enfer, où allait-on ?
Ces affaires semblent indéchiffrables à nos esprits modernes, revenus de tout. Cette question du « pur amour » est pourtant bien intéressante. Ce ne sont pas nos amis psychanalystes qui diront le contraire. À l'époque, Bossuet obtint à Rome condamnation des thèses vertigineuses du couple Fénelon-Guyon. Mais c'était une condamnation du bout des lèvres. Quand on y regarde de près, on voit que tout le monde était agacé par les colères incessantes de Bossuet. Fénelon était plus fin, plus subtil et cela aussi énervait Bossuet. Fénelon fut condamné à regagner son palais épiscopal de Cambrai, il avait en réalité gagné une bataille décisive, et vertigineuse en effet : celle du sujet humain irréductible, du « moi » autonome. Il est curieux de penser, trois siècles plus tard, que si Fénelon a gagné la bataille sur le front théologique ; c'est quand même Bossuet qui détient le pompon sur la question du style et de l'écriture. Paradoxalement, c'est le défenseur de l'institution qui se montre le plus « moderne » au maniement de la plume. Mais les avis sont partagés sur ce point. (Il n' y a rien de plus exquis que de passer une soirée entre amis à disputer de savoir lequel des deux, de Fénelon ou de Bossuet, est le meilleur.)
Saint-Simon écrit de Fénelon dans ses Mémoires : « Je n'ai jamais connu Monsieur de Cambray que de visage. » Une telle phrase m'enchante. On pourrait passer la journée à traduire cette connaissance « limitée » du visage par lui-même. (Nous disons aujourd'hui « de vue », qui est très plat.) Dans la NRF de juin, Jakuta Alikavazovic a donné sur cette question des vues fort pénétrantes, quasi féneloniennes dans leur approche de l'énigme humaine – et rien n'est plus énigmatique qu'un visage. Nous autres de l'an 2015 promenons sur ces aventures passées des yeux de myopes bienveillants. Puisse ce tricentenaire ouvrir les fenêtres un peu plus en grand. Ça vaut la peine.
Michel Crépu
saintmars | 19 juin 2015
Ça redonne un peu de chaleur et du baume au cœur de lire ceci. On veut vite reprendre Bossuet et Fénelon pour ouvrir l'espace un peu glauque et morne... mais pas désespéré... Merci à vous. Tout est dans le titre de votre blog : il se suffirait presque à lui-même ! E. de Saintmars