La tête de François Fillon

| Publié le : 30/03/2017

Le moment approche, une sorte d’épilogue, où il va devenir possible au portraitiste de François Fillon de toucher au but. Cela aura été la grande énigme de cette campagne présidentielle, quoiqu’il en soit de son résultat et des convictions qui nous animent. Un homme qui a été longtemps le préféré des Français, au beau temps de la Sarkozie, un serviteur policé de l’État, à la voix rêche et nette, paraissant insensible au show soudain basculant de lui-même dans son contraire. À ce stade de retournement, la thèse complotiste tombe d’elle-même. Où plutôt : dans le cas de M. Fillon, elle se nourrit de son propre bourbier sans qu’on ait besoin de chercher loin. Le complotiste en est même gêné, il ne demandait pas que les choses lui soient servies à ce point sur un plateau. Il y a quelque chose d’incroyable dans cette route du désastre qui commence par le fameux « Imagine-t-on le général de Gaulle mis en examen ». On ne pouvait pas aller plus loin dans la marche au dessus du vide. À ce stade, comme dans les cartoons de Tex Avery, le personnage coule soudain à pic. Et c’est bel et bien ce qui se passe.

Pourquoi cette phrase suicidaire ? L’a-t-il désiré ? Un acte manqué, comme si le gentleman coureur automobile appelait la foudre sur lui. « Voyez comme je suis le contraire de ce que je parais être. » Tout le reste est de cette eau : un enchaînement d’imprudences folles, dont on se demande comment elles ont pu se laisser seulement concevoir, jusqu’à une sombre histoire de costume enfilé puis rendu (aux puces de Saint Ouen ?). François Fillon semble le témoin somnambule de lui-même. Le personnage politique n’a pas un cheveu en bataille, il remonte dans sa voiture une fois serrées les mains. Au-dedans de lui, les ténèbres du fameux misérable petit tas de secrets. Longtemps la superposition de l’un sur l’autre a rempli son rôle d’illusion d’optique. On ne voyait rien, on croyait à l’image renvoyée. Puis tout s’est déréglé. Cela s’est mis à jurer de plus en plus fort, jusqu’à ce regard vide, au meeting de Biarritz. Que nous disait ce regard ? Peut être simplement quelque chose comme : « J’en ai assez, qu’ils aillent tous au diable. J’avais le jouet en main, et voilà qu’il faut déjà le rendre, c’est con. » François Fillon a été le plus évident des présidentiables, le plus vite chassé du cercle enchanté.

Aujourd’hui, l’affaire électorale semble mal engagée. Un livre évoque un « cabinet noir[1] », comme chez Gustave Leroux. Ses membres revêtent-ils un capuchon avant de prêter serment à Belphégor ? Même ceux qui, tel Luc Ferry, en tenaient pour une approche paisible de la coquinerie humaine, se plaisaient avec un rien de mépris à calmer la vertu outragée au nom de l’intérêt général, même eux se taisent à présent. La déchirure entre l’homme compétent et le coquin est trop visible. Recoudre à cet endroit serait redonner du grain aux rieurs. Mieux vaut finir cette campagne insensée avec un costume déchiré. On pense à la phrase si drôle de Marcel Jouhandeau : « Ce n’est pas parce que j’ai une tête de bandit que je n’en suis pas un. » Mais qu’est-ce donc une tête de bandit ?

Michel Crépu

[1]Bienvenue place Beauvau, par Didier Hassoux, Christophe Labbé, Olivia Recasens,Éd. Robert Laffont.

 

 
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