La rentrée littéraire est ouverte

| Publié le : 17/08/2017

Le sapeur joue dans son tromblon doré comme un pain chaud, c’est la rentrée littéraire. Les enfants crient, ils veulent qu’on leur apporte des livres. Dans les bois déjà touchés par les doigts de l’automne, le fantôme du Grand Meaulnes erre comme une âme en peine. Qui va me réveiller et montrer au monde de quoi nous sommes capables, songe-t-il. Nous l’avons relu, traversant le « centre de la France » au mois de juillet. Soudain l’envie de relire tout de suite ce roman merveilleux. Interloqués, dans l’échoppe où nous nous arrêtâmes pour en acheter un exemplaire, comme une dose de cocaïne qui nous manquait: « Le Grand qui ? »

Suivi d’un léger malaise vite réparé. Allons, allons.

La rentrée littéraire française (un pléonasme) se joue immédiatement à guichets fermés, comme le prochain concert des Rolling Stones où nous avons réservé un strapontin en velours rouge. Comme le promeneur demande au vigneron comment sont les grappes cette année, on demande comment va la littérature. Eh bien, il y a de quoi, mon cher monsieur. Par exemple, n’écoutant que son courage, la remarquable petite maison d’édition L’atelier contemporain publie le livre posthume de Jean-Louis Baudry : Les corps vulnérables. 1200 pages de littérature pure, un chant à l’être aimé disparu. Jean-Louis Baudry recrée littéralement sa femme, par les voies enchanteresses du langage, seul habilité à faire sentir ce qui est fragile. Vulnérable. « Que la terre te soit légère », disaient les antiques inscriptions funéraires. Baudry a rédigé la sienne.

C’est très simple, c’est l’océan de la vie ordinaire illuminée par l’amour. D’un côté la vie, de l’autre côté la mort. Oui, oui, bien sûr, on dit que l’un vaut pour l’autre, comme une carte à jouer. L’actualité des prix devrait ignorer cette frontière. Allons ma mie, ignorons donc cette mort qui nous ennuie tant et bondissons à travers les deniers coquelicots de la saison. C’est ce que nous apporte ici Jean-Louis Baudry, telquélien de la première heure, né en 1930, mort le 3 octobre 2015 dernier. Ouvrez ce livre, laissez le s’ouvrir en vous. Puis ensuite, retournez à la « rentrée ».

Marc Dugain a écrit un livre de plus sur les Kennedy : Ils vont tuer Robert Kennedy (Gallimard). Dugain connaît ses dossiers. Lui est un ferme partisan de la thèse complotiste, Oswald, Shiran servant de leurres pour détourner l’attention. Il faut dire qu’il est diablement convaincant. Au bout d’un moment, on se fiche de sa voir si la maffia est derrière ou devant. Ce qu’il y a surtout, c’est que lorsque quelqu’un, journaliste ou écrivain, ou les deux, se met à parler des Kennedy avec justesse et sérieux, la terre tremble. Ici elle tremble encore plus fort qu’avec John-Jack. Le frêle Bobby marche à la mort. Il le sait. Mais comment le sait-il ? C’est là son mystère que nous dévoile Dugain à mesure. Dix secondes avant d’être assassiné, Bob commente au micro les bons résultats électoraux de Chicago. Il fait un timide « v » de victoire. Puis Sirhan Sirhan le tue. Terminé. Tout vacille, d’un seul coup. Une mort à l’américaine. Peu d’écrivains ont voulu entrer dans l’intimité de Bob. Dugain le fait avec un talent monstre. Les Kennedy servent à savoir à quel point l’histoire n’a aucun sens. Ou alors, considérons que c’est la mafia qui donne l’heure. Bobby n’a pas été respectueux des règles, il a payé. C’et donc ainsi que les choses se passent ? On le dirait bien, mon pauvre monsieur. Que la terre vous soit légère, à vous aussi.

Eva Ionesco aime la foire du Trône, à cause de ses calicots, de ses pistaches, de ses hommes les plus forts du monde. À la lire, on dirait parfois du Léon-Paul Fargue filmé par Jean-Pierre Melville. Son livre s’appelle Innocence (Grasset), il est bien vrai qu’il émane de ce livre un parfum enfantin. L’innocence est une manière fraîche de tout voir, jusqu’au fond du puits, où se trouve déposée la vérité. Rien ici qui prête à la rancune, au ressentiment. Un leitmotiv traverse le livre : elle voudrait voir son père, elle a quatre ans, six ans, et sa mère ne veut pas. Elle dit à sa fille que son père est un sale nazi, ce qui ne paraît pas exact. Sa mère ne pense qu’à la photographier nue, comme si sa fille pouvait lui servir de motif pornographique. Eva Ionesco raconte cette histoire comme en s’en jouant. La voilà en Amérique avec sa mère, flanquée d’un peintre grotesque, un dénommé Pinsson, tout droit sorti de Mort à crédit. On dirait les Thénardier déguisés en hippies, laissant la petite Eva (alors âgée de dix ans) retourner toute seule dans sa maison, sans avoir l’adresse, avec seulement dix dollars, en pleine banlieue de San Francisco. Cette scène, racontée avec une égale fraîcheur, mérite d’entrer au Panthéon. Il ya bien quelque chose de célinien dans ce roman-vrai (comme le sont tous les bons romans), un plaisir fou à s’ébattre dans le décri des choses qui relèvent de la condition humaine. La quoi ?? C’est fou comme la terre nous semble légère cette semaine.

Le sapeur a sorti son gros mouchoir à carreaux, il est ému d’avoir lu tous ces beaux livres. Il range son tromblon. De son gros soulier, il tâte la terre.

 
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